Le sort des détenus en France à l’heure de la pandémie mondiale du covid-19 et du confinement
En France, nous entrons dans la troisième semaine de confinement et le monde entier doit faire face à cette pandémie mortelle. Sans le respect des gestes barrières, nous avons vu la vitesse avec laquelle le virus s’est propagé. Alors que la France est confinée, de nombreuses personnes sont en détention soit en attente de leur procès soit en exécution de peine.
D’évidence, les conditions de détention ne peuvent que favoriser la propagation du virus. Face à une telle situation, le gouvernement a annoncé la libération de 5 000 détenus par la voie de l’aménagement de peine pour les détenus qui purgent une peine.
Pour les détenus provisoires les avocats déposent des demandes de mise en liberté.
Si la libération de 5 000 détenus est salutaire, il est à craindre que ce ne sera pas suffisant. L’OIP tout comme la CGLPL avaient appelé à la libération de 12 000 détenus pour que le taux d’occupation des prisons soit ramené à 100 %.
Au 1er janvier 2020, les prisons comptaient 70 651 détenus, dont 21 075 prévenus. Ils étaient 1 614 à dormir sur un matelas au sol. En maison d’arrêt, la moyenne de la surpopulation carcérale est de 138 %. Seuls 40 % des détenus disposent de cellules individuelles. Ils sont nombreux à partager 9 m2 (toilettes incluses) à deux, trois, parfois quatre détenus (dont l’un dort sur un matelas posé au sol).
Le 27 mars dernier, Madame le Ministre de la justice a déclaré être « « opposée à une mesure générale qui viserait à libérer toutes les personnes qui sont en détention provisoire », alors qu’ils sont au nombre de 21.000 soit 29,8 % de la population carcérale.
Conditions pour bénéficier d’une sortie de prison en fin de peine :
L’ordonnance portant adaptation des règles de procédures pénales du 25 mars 2020 sur le fondement de la loi d'urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de covid-19 prévoit que si la personne détenue dispose d'un hébergement, le juge de l'application des peines peut, après avis du procureur de la République, suspendre la peine sans débat pour les condamnés à qui il reste à subir une peine égale ou inférieure à 2 ans.
Cette ordonnance prévoit également une réduction supplémentaire de peine de deux mois maximum, accordée par le juge de l'application des peines aux condamnés écroués pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire.
Sont exclues de ce bénéfice:
• 1° Les personnes condamnées et écrouées pour des crimes, des faits de terrorisme ou pour des infractions commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité;
• 2° Les personnes détenues ayant initié une action collective, précédée ou accompagnée de violences envers les personnes ou de nature à compromettre la sécurité des établissements ou y ayant participé;
• 3° Les personnes détenues ayant eu un comportement de mise en danger des autres personnes détenues ou du personnel pénitentiaire, au regard des règles imposées par le contexte sanitaire liée à l'épidémie de covid-19.
L’ordonnance donne pouvoir au procureur de la République statuant sur proposition du directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation, d’ordonner à toute personne détenue condamnée à une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans, à laquelle il reste à subir un emprisonnement d'une durée égale ou inférieure à deux mois, d’exécuter le reliquat de sa peine en étant assignée à son domicile, avec l'interdiction d'en sortir, sous réserve des déplacements justifiés par des besoins familiaux, professionnels ou de santé impérieux sous réserve de justifier d’un hébergement.
Sont exclus du bénéfice de cette mesure les condamnés pour une infraction qualifiée de crime, pour des actes se rattachant au terrorisme, pour les violences commises sur la personne d'un mineur de moins de quinze ans, ou commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité;
Sont également exclues les personnes détenues ayant initié ou participé à une action collective, précédée ou accompagnée de violences envers les personnes ou de nature à compromettre la sécurité des établissements pénitentiaires, ou ayant eu un comportement de mise en danger des autres personnes détenues ou du personnel pénitentiaire, au regard des règles imposées par le contexte sanitaire lié à l'épidémie de covid-19.
Enfin, il y a la possibilité de convertir les peines d’emprisonnement d'une durée égale ou inférieure à six mois en travail d’intérêt général.
A ce jour, seuls 3500 détenus auraient bénéficié de ces mesures.
Paradoxalement, alors qu’ils sont présumés innocents, les détenus provisoires ne voient pas leurs demandes de mise en liberté prospérer plus qu’avant la pandémie alors que de nombreux textes doivent permettre leur libération.
Situation des détenus provisoires :
Alors que les tribunaux ne gèrent que les urgences, les dossiers d’instruction ne « bougent » quasiment plus.
A tout le moins, tous les interrogatoires et toutes les confrontations sont reportés sans date.
Pendant ce temps-là, les détentions provisoires se maintiennent et la majorité des décisions rendues par les juges rejette les demandes de mise en liberté.
Le 20 mars 2020, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a fait une déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté́ dans le contexte de la pandémie de coronavirus (COVID-19) et a notamment rappelé :
« Étant donné que les contacts rapprochés favorisent la propagation du virus, des efforts concertés devraient être mis en œuvre par toutes les autorités compétentes pour recourir à des mesures de substitution à la privation de liberté́. Une telle approche s’impose, en particulier dans les situations de surpopulation. En outre, les autorités devraient recourir davantage aux alternatives à la détention provisoire, aux peines de substitution, à la libération anticipée et à la mise à l’épreuve … »
Il est utile de rappeler que :
• Les articles 2 et 3 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) protègent « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi » et « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
A ce titre, la CEDH énonce en matière de santé en détention les obligations suivantes qui pèsent sur les États et leurs autorités judiciaires :
• « les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention » ;
• « la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate » ;
• « le manque de soins médicaux appropriés et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 » ;
• « L’État est tenu, nonobstant les problèmes logistiques et financiers, d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine » ;
• « Lorsqu’une personne est placée sous la responsabilité de l’État en bonne santé et que tel n’est pas le cas lorsqu’elle est libérée, il incombe à l’État de fournir une explication plausible à l’origine de cette situation, faute de quoi une question pourrait se poser sur le terrain de l’article 3 de la Convention » ;
• « La propagation des maladies transmissibles constituant une préoccupation de santé publique majeure, surtout dans le milieu carcéral, faire bénéficier, avec leur consentement, aux détenus dans un délai raisonnable après leur admission en prison des tests gratuits de dépistage, [notamment] concernant les hépatites et le VIH/SIDA »
La Cour européenne a également développé le concept de « risque déraisonnable de dégradation importante de la santé » pour fonder ses constats de violation de l’article 3.
Surtout, la Cour européenne des droits de l’homme a également jugé que la régularité de la détention ne pouvait s’apprécier qu’à la lumière de deux critères :
• Si la détention de la personne contaminée constitue le dernier recours d’empêcher la propagation de la maladie ;
• Si d’autres mesures, moins sévères, ont été envisagées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt public.
La France a été condamnée en 2013 dans un arrêt Canali c. France pour traitement dégradant au titre de « l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles de l’hygiène ».
La France a été condamnée à nouveau en 2020, pour traitement dégradant, au titre de la surpopulation carcérale.
Aujourd’hui, l’ampleur et la gravité de cette crise sanitaire doivent conduire à apprécier cette notion « d’espace personnel » et de « risque déraisonnable de dégradation importante de la santé » de la manière la plus stricte possible, compte tenu notamment :
• De la contamination prévisible de certains détenus ;
• De la réduction voire la suppression prévisible des promenades ;
• De la suppression des visites ;
• De l’impossibilité d’assurer le confinement des détenus qui partagent des cellules collectives.
• De la dégradation certaine des conditions de détention que les privations qui précèdent entraineront et de leurs effets sur la santé mentale et physique des détenus.
Au regard du droit interne, il est rappelé que l’article préliminaire du Code de procédure pénale prévoit que: « les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ».
L’article 137 du Code de Procédure pénale dispose que : « Toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre.
Toutefois, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou, si celles-ci se révèlent insuffisantes, être assignée à résidence avec surveillance électronique.
A titre exceptionnel, si les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettent pas d'atteindre ces objectifs, elle peut être placée en détention provisoire ».
L’article D 349 du Code de procédure pénale précise que « l'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité ».
Pour autant, les décisions de rejet de demandes de mise en liberté retiennent que la crise sanitaire ne saurait justifier une remise en liberté.
Le respect du droit et de la santé publique devrait imposer d’apprécier de manière très stricte les critères légaux du maintien en détention provisoire.
Il ne semble pas que ce soit le cas.
Les risques de fuite opposés à ces demandes de mise en liberté sont de pure forme pour la plupart des détenus : qui peut prendre la fuite à l’heure du confinement et le quadrillage de tout le territoire national par les forces de l’ordre ?
Il est à craindre que la situation ne s’aggrave et que pour l’heure la crise sanitaire n’a pas fait assez de « dégâts » en détention.
Cette aggravation de la situation sanitaire en prison rendra les motivations des rejets de demandes de mise en liberté intenables.
En attendant et avant que les choses ne deviennent dramatiques, le cabinet a fait le choix de multiplier les demandes de mise en liberté et les appels des rejets de demande de mise en liberté.