Remous sur le statut du procureur de la République en France…

Publié le 17 novembre 2021
Statut du procureur de la République

Le 2 mars dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue rappeler que toute les atteintes graves aux libertés individuelles devaient être ordonnées et contrôlées par un magistrat indépendant (CJUE, 2 mars 2021, C-746/18). Cette décision directement applicable dans le droit de tous les pays européens n’a pas manqué d’inquiéter encore plus les magistrats du parquet et pose une fois de plus la délicate question du statut du procureur de la République en France.

Nous savons que près de 90% des affaires pénales sont dirigées et contrôlé par le procureur de la République qui est un magistrat qui se différencie de ses collègues qui jugent.

Or, en sa qualité de magistrat chargé de la direction et du contrôle des enquêtes pénales, le procureur de la République valide ou ordonne des mesures attentatoires aux libertés individuelles (garde à vue, écoutes téléphoniques, sonorisations, géolocalisation…).

La décision du 2 mars 2021 est venue dire en droit que « l’accès des autorités nationales compétentes aux données conservées est subordonné à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction soit par une entité administrative indépendante et que la décision de cette juridiction ou de cette entité intervienne à la suite d’une demande motivée de ces autorités présentées, notamment, dans le cadre de procédures de prévention, de détection ou de poursuites pénales. » (§51)

 L’exigence d’indépendance à laquelle doit satisfaire l’autorité chargée d’exercer le contrôle préalable, rappelé au point 51 du présent arrêt, impose que cette autorité ait la qualité de tiers par rapport à celle qui demande l’accès aux données, de sorte que la première soit en mesure d’exercer ce contrôle de manière objective et impartiale à l’abri de toute influence extérieure. En particulier, dans le domaine pénal, l’exigence d’indépendance implique, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général en substance au point 126 de ses conclusions, que l’autorité chargée de ce contrôle préalable, d’une part, ne soit pas impliquée dans la conduite de l’enquête pénale en cause et, d’autre part, ait une position de neutralité vis-à-vis des parties à la procédure pénale. » (§54)

Tel n’est pas le cas d’un ministère public qui dirige la procédure d’enquête et exerce, le cas échéant, l’action publique. En effet, le ministère public a pour mission non pas de trancher en toute indépendance un litige, mais de le soumettre, le cas échéant, à la juridiction compétente, en tant que partie au procès exerçant l’action pénale. » (§55)

C’est exactement le rôle et la place du procureur de la République dans notre procédure pénale française.

Il dirige l’enquête pénale et exerce l’action publique en poursuivant les auteurs d’infractions.

Par cet arrêt, la CJUE va au-delà de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH, Medvedyev c. France, n°3394/03, 23 mars 2010 ; CEDH, Moulin c. France, n°37104/06, 23 nov. 2010) et celle de la Cour de cassation avant la réforme de la procédure pénale issue de la loi dite Taubira du 25 juillet 2013 (Crim, 15 déc. 2010, n°10-83.674) : le Ministère public n’est pas une autorité indépendante au sens de l’article 5§3 de la CEDH, ne présentant pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises.

La loi du 25 juillet 2013 portant réforme du statut du ministère public est donc manifestement insuffisante pour assurer le respect du droit supranational directement applicables dans le droit interne des États membres.

La Cour de justice a considéré que "seule la lutte contre la criminalité grave et la prévention de menaces graves contre la sécurité publique [étaient] de nature à justifier des ingérences graves dans les droits fondamentaux consacrés à l'article 7 et 8 de la Charte".

Dans une précédente décision du 19 avril 2016, la CJUE en date du 19 avril 2016 (n°C-441/14 Grande Chambre) avait dit que :

• 33. Dans ce contexte, il importe de préciser que l’exigence d’une interprétation conforme inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive (voir, en ce sens, arrêt Centrosteel, C‑456/98, EU:C:2000:402, point 17).

En d’autres termes, il existe une véritable incertitude juridique sur les conditions dans lesquelles certaines procédures pénales sont dirigées aujourd’hui et sur la légalité des actes d’enquête les plus attentatoires aux libertés individuelles.

A ce jour, la plus haute juridiction française en matière pénale (la chambre criminelle de la Cour de Cassation) n’a pas encore été saisie de cette difficulté depuis cette décision de la CJUE du 2 mars 2021.

Il est fort probable que la loi française soit modifiée rapidement pour mettre notre droit en totale conformité avec le droit européen.

En attendant, les enquêteurs, les procureurs et les juges marchent sur des œufs.