A temps partiel ou à temps plein … mais pas les deux à la fois !

Publié le 07 décembre 2021
Temps partiel
(cass.soc. 15 sept. 2021, n°19-19.563)

Le travail à temps partiel est très répandu ; souvent subi par le salarié, parfois voulu, il est d’un maniement toujours risqué pour l’employeur. La Cour de cassation vient de le rappeler : à temps partiel ou à temps plein, il faut choisir, car un salarié à temps partiel ne doit jamais travailler à temps plein, même s’il est d’accord, sauf à passer aussitôt, automatiquement et définitivement à temps plein.

Être à temps partiel c’est par définition travailler moins qu’un temps plein

La définition légale du travail à temps partiel donnée par l’article L.3123-1 du Code du travail, renvoie à une durée de travail effectif inférieure à la durée légale du travail, c’est-à-dire travailler moins de 35 heures par semaine (civile ou celle fixée par accord collectif), 151,67 heures par mois ou 1.607 heures par an. Le cas échéant, ces seuls sont abaissés à la durée du travail à temps plein conventionnelle ou applicable dans l’établissement si elle est inférieure à la Loi.

Quand on est à temps partiel, peut-on « travailler plus pour gagner plus ?

Oui … mais pas trop ! Et c’est compliqué car on peut effectuer des heures complémentaires et/ou des compléments d’heures, mais dans des conditions très strictes :

• Des heures complémentaires dans la limite de 10% de la durée de travail fixée au contrat de travail. Ce quota peut toutefois être augmenté par un accord de branche, d’entreprise ou d’établissement, mais sans pouvoir dépasser le tiers de la durée de travail prévue au contrat.

Exemple : pour un contrat de 24 heures par semaine, on peut dépasser exceptionnellement, mais que dans la limite de 24 + 2,4 = 26,40 heures par semaine, voire, si un accord collectif l’autorise expressément, de 24 + 8 = 32 heures.

Rappelons que s’il n’y a pas de contrat écrit ou que le contrat ne fixe pas de durée globale de travail, le salarié est réputé être à temps plein.

Attention, les heures complémentaires ne sont pas des heures supplémentaires !
Les heures complémentaires sont majorées : en principe de 10% du salaire de base, puis de 25% pour les heures accomplies entre le quota d’1/10ème et du tiers quand il est autorisé, sauf si un accord de branche réduit cette majoration (le plancher de 10% s’appliquant toujours).

Exemple : pour un contrat de 24 heures hebdomadaires dont un accord collectif permet 1/3 d’heures complémentaires sans précision sur le taux de majoration de salaires, le salarié percevra ses 24 heures à 100% + 2,4 heures à 10% + 5,6 heures à 25%.

Ces majorations bénéficient d’une exonération d’impôt et d’une réduction des cotisations sociales salariales.

Attention, on ne peut pas remplacer cette majoration par un temps de repos. En matière de temps partiel, le repos compensateur de remplacement n’est pas prévu par la Loi. Donc a priori le juge n’en tiendra pas compte et condamnera l’employeur à verser les rappels de salaires … même s’il a accordé des « récup’ » ! (Cass.soc. 15 mai 2019, n°17-18.169).

• Des compléments d’heures temporaires: une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir la possibilité, par un avenant au contrat de travail, d'augmenter temporairement la durée du travail prévue par le contrat de travail dans la limite de 8 fois par an et par salarié (mais sans limite de durée desdits avenants), tout en fixant une majoration de salaire. Dans ce cas, le régime des heures complémentaires ne s’applique pas à ces compléments d’heures temporaires, mais aux heures accomplies au-delà de ceux-ci.

Il y a des sanctions ?

Des sanctions pénales : amendes de 5ème classe (1.500 euros par salarié concerné passant à 3.000 en cas de récidive).

Des sanctions civiles : le salarié peut obtenir des dommages et intérêts s’il justifie d’un préjudice et même la rupture du contrat de travail aux torts de l’entreprise et donc une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse s’il prouve que les violations de ses droits ont rendu impossible la poursuite du contrat de travail.

Et surtout des risques de requalifications avec de lourdes conséquences financières à la clé.

En cas d’heures complémentaires récurrentes, celles-ci deviennent définitives et la durée de travail contractuelle est réévaluée automatiquement

 L’article L.3123-13 du Code du travail prévoit que lorsque pendant une période de 12 semaines consécutives (soit environ 3 mois) ou pendant 12 semaines au cours d'une période de 15 semaines (ou au cours d'une période supérieure prévue par un accord collectif d'aménagement du temps de travail), l'horaire moyen réellement effectué par un salarié a dépassé de 2 heures au moins par semaine, ou de l'équivalent mensuel de cette durée, l'horaire prévu au contrat, celui-ci est modifié, sous réserve d'un préavis de 7 jours et sauf opposition du salarié intéressé.

L'horaire modifié est égal à l'horaire antérieurement fixé auquel est ajoutée la différence entre cet horaire et l'horaire moyen réellement effectué.

Par exemple : si le contrat prévoit un 4/5ème , soit en principe 28 heures par semaine, ce volume de travail et de salaire est automatiquement révisé dès lors que la durée hebdomadaire aura été de 30 heures pendant 12 semaines consécutives, ou comprises dans une période de 15 semaines. Ce serait ainsi le cas de quelqu’un qui ne travaillerait pas habituellement les mercredis, mais qui aurait dépassé son horaire habituel tous les autres soirs de ½ heure, ou encore qui ne prendrait pas ses 2 pauses quotidiennes de ¼ heure chacune et censées être décomptées.

Pour un salarié à temps partiel sur le mois, il s’agirait de dépasser sur le mois de 8,66 heures son horaire mensuel (2h × 52 semaines /12 mois) sur un peu moins de 3 mois.

Et si on travaille ne serait-ce qu’une seule semaine à temps plein, alors on ne peut plus faire marche arrière

Selon l’article L.3123-9 du Code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement.

Exemple : pour un contrat de 32 heures par semaine (laissant par exemple les vendredis après-midis libres), où 10% d’heures complémentaires sont autorisées, soit 32h + 3,2h = 35,2 heures … on s’en tiendra à 34,99 heures !

Exemple : pour un contrat de 28 heures par semaine (laissant par exemple les mercredis libres), où un accord de branche permet d’effectuer un tiers d’heures complémentaires, soit 28 + 9,34 h = 37,34 heures .. on s’en tiendra aussi à 34,99 heures !

La Cour de cassation a toujours fait une application stricte de ce principe en jugeant que le contrat de travail doit être automatiquement requalifié en temps plein dès que le salarié censé travailler à temps partiel sort de ce statut, et atteint le seuil des 35 heures hebdomadaires, même avec son accord explicite constaté dans un avenant à son contrat de travail !

Il est en effet fréquent que le passage à temps plein ne soit pas imposé au salarié mais que celui-ci conclue un avenant à durée déterminée à son contrat de travail et donne donc son accord à cette augmentation temporaire de son temps de travail, pour remplacer un collègue absent, pour assurer un surcroît de travail temporaire, etc. Et l’employeur y voit son intérêt puisque son salarié à temps partiel est formé au poste et connaît la maison mieux qu’un salarié embauché en CDD ou un intérimaire.

Mais c’est prendre le risque d’une requalification définitive en temps plein et donc de devoir un jour lui verser des rappels de salaires à temps plein pour des heures de travail que, par hypothèse, il n’aura plus travaillées lorsque l’avenant aura pris fin.

Ainsi de cette vendeuse de chaussures chez MINELLI qui avait conclu un avenant à son contrat de travail pour passer temporairement à temps plein pour un peu moins de 2 mois pendant la période estivale, du 21 juin au 14 août (Cass.soc.8 février 2017, n°15-26.867).

Ainsi de cet agent de sécurité qui n’a travaillé que 3 mois à temps plein en concluant des avenants à son contrat de travail (Cass.soc.17 déc. 2014, n°13-13.508).

Ainsi d’une serveuse (Cass.soc. 6 mai 2015, n°13-22.211).

Ainsi d’une caissière chez LIDL (Cass.soc.31 mars 2016, n°14-17.323).

Ainsi pour une aide à domicile de l’AMDR qui n’avait pourtant travaillé à temps plein qu’un seul mois en 8 ans (Cass.soc. 12 mars 2014, n°12-15.014).

En clair, l’avenant à durée déterminée devient un avenant à durée indéterminée : l’article L. 3123-9 précité est d’ordre public et les parties ne peuvent y déroger par leur accord mutuel. La sanction aurait pu être indemnitaire, mais la Cour de cassation choisit ici la sanction beaucoup plus lourde qu’est la requalification automatique.

C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation à propos d’un salarié qui avait respecté son temps partiel sur le mois mais qui avait travaillé 36h75 une semaine dans le mois

Il s’agissait de nouveau d’un agent de sécurité. Celui-ci avait conclu un contrat de 140 heures par mois, ramenées à 50 heures par mois par avenant. Il avait accompli seulement 1,75 heure complémentaire sur le mois, alors qu’il aurait pu en accomplir 5. Mais il avait aussi effectué 36,75 heures de travail la première semaine de ce mois.

Ce faisant, il avait atteint, et même dépassé, la durée légale du travail et le contrat de travail est requalifié en temps à compter de cette date (Cass.soc. 15 sept. 2021, n°19-19.563).

Ainsi par exemple, si le salarié est censé travailler 24 heures par semaine, mais effectue 35 heures sur une semaine donnée en 3 ans, il peut prétendre à un rappel de salaire pour les 3 années suivantes, moins 1 semaine, c’est-à-dire la durée de la prescription en matière de rappels de salaire prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail (Cass. soc., 19 déc. 2018, n° 16-20.522) de : (11 heures x 52 semaines) + (11 heures x 52 semaines) + 11 heures x 51 semaines) = 1.705 heures, soit plus d’un an de salaires !

Peut-on se défendre ?

Jusqu’à présent, la Cour de cassation permet à l’employeur de renverser la présomption de temps plein en apportant la preuve que le salarié n'est pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il doit travailler et qu'il n'est pas tenu de se tenir constamment à la disposition de son employeur (Cass. soc., 25 févr. 2004, n° 01-46.394 ; Cass. soc., 26 janv. 2005, n° 02-46.146 ; Cass. soc., 9 mars 2005, n° 03-40.386 ; Cass. soc., 4 avr. 2006, n° 04-45.836 ; Cass. soc., 4 déc. 2013, n° 12-23.506).

Cette preuve peut être rapportée par tout moyen, à commencer par des témoignages, des plannings horaires hebdomadaires datés et signés par le salarié (Cass.soc. Cass. soc., 5 déc. 2001, n° 00-40.342 ; Cass. soc., 18 juin 2002, n° 00-41.978), , des notes manuscrites de celui-ci (Cass.soc. 9 oct. 2019, n° 18-18.744), des calendriers manuscrits, des courriels, SMS, etc.

Mais l’employeur ne pourra pas se contenter de produire les bulletins de paie du salarié mentionnant un temps partiel et de souligner que le salarié ne les a jamais contestés, comme la Cour de cassation vient également de le rappeler récemment à propos d’un cuisinier de restaurant (Cass. soc., 8 avr. 2021, n° 19-24.194).

En conclusion, si vous souhaitez conclure un avenant temporaire d’augmentation du temps partiel, ne dépassez pas 34,99 heures par semaine !

Vanessa LEHMANN
Avocat associé