En route vers le pass sanitaire ?

Publié le 27 juillet 2021

Le Sénat vient d’adopter le texte de loi proposé par le gouvernement. Une minorité de français se fait entendre pour dénoncer une atteinte insupportable aux libertés.
Le juriste sans se positionner sur l’approche philosophique des libertés doit s’interroger sur l’état du droit.
La question est de savoir si les juridictions qui jugent des lois risquent de « retoquer » ce texte. 

 Nous ne semblons pas partis pour si le parlement évite certains écueils ; en effet les plus hautes juridictions semblent avoir balisé le chemin. 

 1. Le conseil d’État semble valider dans une décision du 6 Juillet 2021 le principe du passe sanitaire sous réserve d’une ingérence acceptable dans la vie privée et de non divulgation de données personnelles, https://bit.ly/3yb9IV7la mise en œuvre du passe sanitaire n'est pas, à la date de la présente ordonnance, manifestement illégale »).  

Il reprend cette position dans l’avis qui lui a été demandé sur la loi en cours d’adoption (https://bit.ly/3rCskLb) sous certaines conditions : 

 « L’obligation ne puisse avoir pour effet, sauf dans des situations exceptionnelles, de remettre en cause la possibilité pour l’ensemble de la population d’accéder à des biens et services de première nécessité ou de faire face à des situations d’urgence ;  

ne porte pas une atteinte contraire aux normes constitutionnelles et conventionnelles au respect des libertés syndicales, politiques et religieuses non plus qu’au droit de manifester sur la voie publique ; 

• ne porte pas au droit des intéressés au respect de leur vie privée, une atteinte disproportionnée en particulier en les contraignant à révéler une précédente contamination ou à dévoiler très fréquemment leur identité dans les activités de la vie quotidienne ; 

• ne crée pas de différences de traitement dépourvues de justifications objectives entre les activités soumises au dispositif et celles qui n’y sont pas soumises. » 

Il ajoute à propos des professionnels en relation avec des personnes vulnérables : 

« le fait d’imposer la détention du « passe sanitaire » à l’ensemble des professionnels et bénévoles intervenant dans les lieux, établissements, services et évènements où le dispositif trouvera à s’appliquer ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’exercice de leur activité professionnelle par les intéressés… …il sera loisible aux personnels concernés qui ne disposeraient d’un justificatif de vaccination ni d’un certificat de vaccination d’exercer leur activité en présentant un certificat de dépistage négatif et … seuls ceux d’entre eux qui s’abstiendraient de présenter un tel certificat pendant une période de deux mois consécutifs s’exposeraient …. à une cessation de fonction. » 

 

 2. Le Conseil Constitutionnel dans une décision du 31 Mai 2021 avait ouvert la voie sous les mêmes réserves : 

• Il valide le fait de soumettre l’entrée dans certains lieux à la présentation d’un passe sanitaire ou d’un test négatif.

• Il valide la conservation des données numériques pendant 20 ans à condition que ce soit dans un but scientifique, d’en limiter l’accès et d’en interdire l’utilisation à des fins de promotion notamment de médicaments. 

 

 3. La Cour Européenne des droits de l’homme valide les mesures prises par la Tchéquie rendant obligatoire sous peine d’amende et de non admission à l’école maternelle la vaccination des enfants https://bit.ly/3rDIuEn

 En substance elle estime que : 

• Une telle loi est bien une ingérence dans le respect de la vie privée 

Mais que :
• Le but du législateur de protéger contre des maladies graves et d’atteindre une immunité collective est légitime.
• Les États ont une ample liberté d’appréciation en matière de santé publique.
• Cette ingérence dans la vie privée correspond à un besoin social impérieux.
• L’option de la vaccination obligatoire et généralisée est admissible et défend l’intérêt supérieur de l’enfant.
• La loi permet de ne pas être vacciné en cas de contre-indication médicale et respecte l’objection de conscience en permettant un recours judiciaire individuel contre l’obligation. 
• Que les risques évalués à 5/100000 imposent de prendre des précautions avant la vaccination mais sont dans ce contexte acceptables.
• Que la vaccination n’est pas pratiqué de forcee et que les sanctions (amende et déscolarisation) sont proportionnées  

 

On retiendra cet attendu de principe : 

Pour la Cour, « on ne saurait estimer disproportionné le fait qu’un État exige, de la part de ceux pour qui la vaccination représente un risque lointain pour la santé, d’accepter cette mesure de protection universellement appliquée, dans le cadre d’une obligation légale et au nom de la solidarité sociale, pour le bien du petit nombre d’enfants vulnérables qui ne peuvent pas bénéficier de la vaccination. » 

 Ainsi la protection d’un petit nombre justifie l’obligation pour le plus grand nombre. 

Cette décision qui n’est pas rendue en matière de COVID pose clairement la direction qui sera retenue par la juridiction européenne.
Ce faisant, les juges rappellent que le concept de liberté n’est pas absolu. La liberté individuelle peut céder face aux nécessités d’une liberté collective. L’intérêt social prévaut sur l’intérêt individuel. 

 Tout le monde connait la célèbre phrase de John Stuart Mill « La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres. » 

Gérard CHEMLA, avocat rémois réputé en matière pénale des victimes
Gérard CHEMLA
Avocat associé