Nouveau rappel à l’ordre du Conseil d’Etat à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins qui fait de la résistance !

Publié le 28 juillet 2021

Depuis quelques mois, le Conseil d’Etat a dû plusieurs fois rappeler à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins qu’elle ne pouvait pas légalement rejeter une requête en appel par ordonnance au seul motif qu’il en manque une ou plusieurs copie(s) !

Pour bien comprendre la portée de ces décisions (II), il convient de revenir sur les bases de la procédure disciplinaire ordinale (I).

I. Procédure disciplinaire ordinale classique et synthétisée

(Abréviations : CDO = conseil départemental de l’ordre des médecins ; CDPI = chambre disciplinaire de première instance ; CDN = chambre disciplinaire nationale ; CE = Conseil d’Etat)

 

Les CDPI sont des juridictions administratives spécialisées et de nombreuses règles du code de justice administrative s’appliquent à la procédure, outre les règles procédurales spécifiques définies par le code de la santé publique.

Toute personne partie à un litige devant la CDPI peut interjeter appel de la décision rendue en respectant 4 conditions principales :

C’est la production de la requête en un certain nombre d’exemplaires qui pose problème.

Selon l’article R.4126-11 du code de la santé publique :

« Les plaintes et requêtes doivent, à peine d'irrecevabilité, être accompagnées de copies, en nombre égal à celui des parties, augmenté de deux. (…)».

En application de cette règle, qui est en principe rappelée dans le courrier qui accompagne la décision rendue par la CDPI, certains appelants peuvent produire 4 ou 5 exemplaires de leur requête… en procédant à une lecture et à un calcul trop rapides : 2 parties (celui qui a déposé plainte + celui qui est poursuivi) + 2 = 4

Or, il faut :

• Tenir compte du fait que le CDO qui a transmis la plainte, lorsqu’il n’est pas le plaignant, a tout de même la qualité de partie au litige (ce qui fait donc 3 parties et non 2),

• Veiller à bien lire le texte qui précise que la requête doit être « accompagnée» de copies (Le texte ne dit pas qu’il faut une requête en tant d’exemplaires, mais qu’il faut une requête, accompagnée de copies en tant d’exemplaires, ce qui prête à confusion)

Autrement dit, il faut, sauf exception : la requête (1) + les copies (3 +2) = 6 au minimum.

Pendant longtemps, par bienveillance, le greffe de la chambre disciplinaire nationale invitait les auteurs d’une requête en appel produite en un nombre insuffisant d’exemplaires à régulariser leur appel en leur laissant la possibilité de déposer, dans un délai déterminé, le nombre d’exemplaires manquants.

Tel n’est malheureusement plus le cas depuis quelques mois.

Selon des sources internes au Conseil national de l’ordre des médecins, il aurait été décidé de rejeter systématiquement les requêtes en appel qui ne comportent pas le nombre d’exemplaires requis. Un bon moyen de désencombrer la juridiction, et tant pis pour le justiciable.

Il s’agit d’un rejet par ordonnance, par l’un des présidents de chambre de la CDN qui ne lit donc même pas la requête mais la rejette au seul motif qu’il manque une ou plusieurs photocopie(s) au dossier.

II. La censure du Conseil d’Etat

Cette façon de procéder a été censurée une première fois par le Conseil d’Etat saisi d’une demande de sursis à exécution de l’ordonnance par laquelle la Présidente de la chambre disciplinaire nationale a rejeté un appel :

« en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que l’ordonnance du 9 juillet 2020 de la présidente de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins porte une atteinte excessive au droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce qu’elle rejette sa requête sans l’examiner au motif que sa requête n’était pas accompagnée du nombre de copies requises par l’article R. 4126-11 du code de la santé publique paraît sérieux et, en l’espèce, de nature à justifier, outre l’annulation de la décision juridictionnelle attaquée, son infirmation. »

(CE, 29 déc. 2020, n° 443950)

Malgré cette décision, la CDN a continué à rejeter des requêtes pour ce motif.

Le Conseil d’Etat a donc été amené à confirmer sa position à plusieurs reprises, en réponse à des demandes de sursis à exécution auxquelles il semble avoir fait droit systématiquement (voir notamment CE, 4e ch., 30 avr. 2021, n° 449832)

Il a très récemment adopté la même solution en annulant une ordonnance de rejet et renvoyant l’affaire à la CDN, considérant que la notification de la décision rendue par la CDPI n’était pas suffisamment claire sur le nombre d’exemplaires requis et que la CDN ne pouvait, par conséquent, pas rejeter l’appel sans inviter le requérant à régulariser sa requête en produisant les exemplaires manquants.

(CE, 22 juill. 2021, n° 448066)

Ces décisions sont d’autant plus intéressantes que les présidents de CDN sont des conseillers d’Etat, qu’ils signent les décisions en cette qualité, et que le CE n’hésite donc pas à censurer les ordonnances rendues par l’un des leurs.

On ne peut qu’espérer que la CDN revienne à la raison et cesse une fois pour toutes ces rejets par ordonnance qui donnent la très désagréable impression de constituer un prétexte pour désencombrer la juridiction au mépris des justiciables.

Steven CALOT, avocat à Reims
Steven CALOT
Avocat associé