À cause d'un airbag défectueux, "j'ai perdu ma conjointe, et la mère de mes enfants"

Une mère de famille est morte le samedi 14 juin 2025 à cause du déclenchement d'un airbag Takata trois jours auparavant à bord d'une Citroën C3 circulant à Reims (Marne). Sa famille a pris la parole pour la première fois, ce mardi 22 juillet.
C'est le deuxième accident mortel impliquant un airbag Takata en France métropolitaine (19e en comptant l'Outre-Mer) : la victime, Célia Bernaudat, en est morte le samedi 14 juin 2025. Derrière cette froide statistique, un drame humain : quatre enfants, un mari, et un père éplorés. La première communication de la famille auprès de la presse a eu lieu ce mardi 22 juillet.
L'accident est survenu le mercredi 11 juin, à Reims (Marne). L'information a été révélée par le service investigation de Radio-France. À la suite du drame, toutes les Citroën C3 (et DS3) nécessitant un changement d'airbag ont été immobilisées (elles pouvaient encore rouler dans l'attente d'un rendez-vous).
Ce fameux mercredi, "Célia a quitté son travail à 17h00", raconte Vincent Dupré, le conjoint de Célia Bernaudat, à France 3 Champagne-Ardenne. "Elle est passée chercher [notre] fille Ambre [12 ans; NDLR] à son cours de danse, elle s'est assise à l'avant du véhicule." C'est un chemin qu'elle emprunte "chaque mercredi après-midi".
Une demi-heure après, ne les voyant pas revenir, "avec son frère, on a essayé de les appeler toutes les deux. On n'avait pas de réponse. Vers 18h00, j'ai décidé de prendre ma voiture pour faire un tour, essayer de voir si je voyais quelque chose. Bêtement, j'ai allumé Waze. Et j'ai vu qu'il y avait un accident signalé sur la traversée urbaine."
"Je me suis dit : non, ce n’est pas possible." Il se rend sur place, "et dans le sens inverse, j'ai vu la voiture dans le talus, les véhicules de secours. J'ai fait demi-tour, je me suis arrêté sur les lieux de l'accident. On m'a dit que ma fille était déjà partie avec les pompiers. Qu'elle n'était pas gravement blessée."
"Par contre, ma conjointe était dans l'ambulance du Samu. Le médecin du Samu est apparu au bout de 30 secondes pour dire qu'il fallait qu'on y aille, son état se dégradait."
La gendarmerie l'auditionne au lendemain de l'accident. On lui apprend qu'il n'y avait pas de caméra. "Elles n'étaient pas au bon endroit, on ne savait pas. Pour l'instant, ils se fiaient aux déclarations de notre fille. Elle racontait qu'un camion" avait "poussé" leur voiture, qui a heurté un obstacle.
Ambre, sa fille, rapporte n'avoir "pas vu l'airbag", mais seulement que sa mère était "gravement blessée". Un témoignage pouvant indiquer que ce dernier a explosé - en projetant des éléments métalliques - au lieu de se déployer. Comme d'autres airbags du sous-traitant Takata.
L'enquête permet d'apprendre, vidéo à l'appui, qu'"un camion l'a bien heurtée et que ma compagne n'y est pour rien. Et que l'airbag a été retrouvé au milieu de la traversée urbaine. Qu'il lui a bien explosé au visage. Lui causant des dommages irréversibles." Elle meurt trois jours plus tard, le samedi 14 juin.
Vincent Dupré suspecte un airbag défectueux après le témoignage de sa fille. "Il y a quelques années, ils avaient fait un premier rappel de Citroën. Ma conjointe m'avait demandé de vérifier son airbag. À l'époque, sa voiture n'était pas concernée. Donc je lui ai dit : oui, tu peux rouler. Entre-temps, j'ai pris sa voiture, d'autres membres de la famille aussi... On pensait être en sécurité."
"Malheureusement, on a appris après que le rappel allait jusque 2013. Malheureusement, la voiture était de 2014... À un an près. J'ai perdu ma conjointe pour un an." La respiration du veuf s'accélère.
Envoi confus d'un courrier d'avertissement jamais reçu
Elle n'a jamais reçu le courrier envoyé par la firme. Officiellement, "Stellantis a dit... Pas directement, car on ne nous dit rien, à nous... Qu'un courrier a été envoyé. À l'ancienne adresse. Alors oui, ma conjointe n'avait peut-être pas changé son adresse sur la carte grise, mais l'assurance était à l'adresse d'aujourd'hui."
"Et elle recevait encore les SMS disant que c’étaient les portes ouvertes Citroën tel week-end... Je pense que s'ils avaient vraiment voulu la joindre, ils avaient de quoi." Il explique que personne ne les a contactés, si ce n'est son assurance, "la seule qui joue son jeu. Elle est présente. Mais Stellantis : rien du tout."
"Ils ont pris la parole après que le ministre a parlé. Il n'y aurait pas eu l'accident de Célia, ils n'auraient pas parlé et rappelé toutes les voitures. Ce n'est pas eux qui ont arrêté les voitures : c'est la décision du ministère. J'espère que ça évitera à d'autres personnes de vivre ce qu'on est en train de vivre. Perdre quelqu'un à cause d'un airbag, un organe de sécurité, ça ne devrait pas exister."
Il espère désormais que Stellantis soit reconnu "coupable de mort. Ça fait longtemps que ça dure, ces airbags. Et quand vous entendez aujourd'hui que ça va jusqu'aux véhicules de 2021, avec un scandale aux États-Unis qui remonte au moins à cinq ans... Ils n'ont rien fait, rappelé seulement quelques véhicules."
"Il a fallu le décès de ma conjointe... Il a fallu combien de morts pour qu'ils se réveillent ? C'est ça qui me révolte. Combien pour qu'ils décident de rappeler toutes les voitures ? Tant pis si ça bloque des gens chez eux, s'ils ne peuvent pas partir en vacances comme j'ai pu entendre." Il hausse le ton. "Désolé pour eux : moi, j'ai perdu ma conjointe, et la mère de mes enfants." Avant d'exprimer sa "haine", et rappeler que sa fille "est traumatisée. Elle revoit tous les jours les bouts de métal reçus par sa mère en plein visage."
Présent lui aussi autour de la table, on retrouve Fabrice Bernaudat, le père de la victime. Il exprime auprès de France 3 Champagne-Ardenne sa "douleur de perdre un enfant."
"Ce qui doit nous animer maintenant, c’est le combat. Parce que ce n’est pas normal, ce qui est arrivé à ma fille. Un élément de sécurité, censé lui sauver la vie, l’a tuée. J’ai beaucoup de colère."
Il regrette d’avoir été peu, voire pas au courant. "Toutes les informations qu’on a eues, c’était par les médias, la plupart du temps. C’est par hasard qu’on a appris qu’on ne pouvait pas inhumer notre fille. On a dû se battre pour pouvoir le faire."
Il rapporte la réception d’un courrier pour se porter partie civile. "Mais on ne nous dit rien, on ne sait pas comment ça va se passer. On n’a eu aucun appel téléphonique pour nous expliquer les démarches à suivre. C’est tout ça, qui est énervant. Il faut qu’on se débrouille par nous-mêmes. C’est pas facile."
La procédure en justice promet d’être longue, "mais nécessaire. C’est pour ça qu’on a pris attache avec un avocat. Je veux qu’il y ait des responsables. Il faut attendre un décès pour commencer à rappeler les véhicules et éviter que ça se reproduise… Si au moins le décès de ma fille a servi à ça…" Ainsi, la famille a sollicité le conseil de Maître Sébastien Busy, du cabinet rémois d'avocats ACG.
Sollicité, l'avocat explique à France 3 Champagne-Ardenne que "nous avons assez peu d’informations. Nous allons nous constituer partie civile auprès des juges d’instruction du pôle santé du tribunal judiciaire de Paris, qui est en charge de trois accidents."
"Une fois que nous aurons pu régulariser ces constitutions, nous aurons accès à la procédure. Ce que l’on souhaite avant tout, c’est faire toute la lumière sur cet accident, et les circonstances de ce drame."
"Il nous apparait qu’il est important que le tribunal puisse investiguer sur l’ensemble des cas qui se sont produits en France, qu’elle soit métropolitaine ou dans les Antilles, notamment. Pour que l’on puisse avoir une vision globale de la situation judiciaire, et de la manière dont le groupe Stellantis, et dont la société qui a produit les airbags, ont réagi lorsqu’ils ont appris ou connu qu’il y avait un problème, une défectuosité qui pouvait provoquer des blessures, voire des décès."
C’est pourquoi une procédure collective est donc envisagée, car l'affaire dépasse ce drame survenu à Reims, et qu'il est important d’éviter "une dispersion des enquêtes. C’est important que ça soit les mêmes juges qui instruisent, pour comprendre de façon globale ce qui s‘est produit, pour qu’on ait une analyse systémique de ce qui a provoqué ces accidents." Qu’ils aient entraîné des blessures ou des morts.
Le conseil rappelle que "le véhicule était entretenu. Il était assuré. L’assurance était à l’adresse de madame. Elle recevait régulièrement des offres promotionnelles par Citroën. Je pense qu’on avait tous les moyens pour parvenir à localiser ce véhicule." Ainsi, il estime que les responsabilités pourront difficilement être écartées. Notant que les expertises légistes ont "établi un lien certain entre l’airbag et le décès".
L’une des explications de leur avocat est particulièrement difficile. Le fait que désormais, les médias évoqueront, comme des "piqûres de rappel", le drame à intervalle régulier, au fil de l’évolution de la procédure. Rendant de fait le travail de deuil encore plus difficile. La famille aura besoin de tout le soutien nécessaire au cours des temps à venir.