Attentats du 13 Novembre : « J’ai toujours baigné dans le sang des autres », confie Me Chemla, avocat de victime

Publié le 12 novembre 2025
L'Union
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Avocat de nombreuses victimes des attentats de Paris et de Nice, le Rémois Me Gérard Chemla a porté la parole des survivants. Mais à force d’entendre l’horreur, il a lui-même dû affronter ses propres blessures invisibles.

 

On ne le présente plus. Au fil des années, le pénaliste de Reims, Me Gérard Chemla a fait de la défense des victimes son cheval de bataille : accidents de train, catastrophes, attentats, dont ceux du 13-Novembre, survenus il y a dix ans. Il est de tous les procès. « J’ai toujours baigné dans le sang des autres. Mais là, c’était tellement plus violent encore. »

 

Une mémoire émotionnelle

 

« Sans m’en rendre compte, je prenais sur moi ce que les victimes ne pouvaient plus porter. » Gérard Chemla connaît bien ce phénomène qu’il décrit pour en avoir parlé avec un professionnel. « Cela correspond au traumatisme vicariant, cette empreinte laissée chez les professionnels confrontés à la douleur d’autrui. » Il finira par consulter un psychologue pour « ne pas sombrer. Encore aujourd’hui, je continue de le consulter ». Il le dit sans pudeur. « Je n’avais jamais imaginé que défendre pouvait briser. Heureusement que mon équilibre, je l’ai avec Pauline (Ndlr, Me Manesse Chemla également avocate) et nos enfants. » Il évoque cette mémoire émotionnelle sur des événements que personne ne peut oublier.

 

"Durant une heure, chacune des victimes va raconter une histoire identique mais en même temps, une histoire totalement différente."

 

 En janvier 2016, c’est la première confrontation avec les victimes des attentats du 13 novembre 2015. Un choc. « C’était à la maison du Barreau à Paris. Il y avait une longue file d’attente à l’extérieur avec des gens qui redoutaient une nouvelle attaque ; des personnes blessées, en fauteuil et puis les parents des victimes décédées. »

 

Pendant six mois, Gérard Chemla et ses collaborateurs vont recevoir 300 victimes. « Durant une heure, chacune va raconter une histoire identique mais en même temps, une histoire totalement différente », confie l’ancien bâtonnier de la Marne. Les entretiens s’achèvent à la fin du mois de juin 2016. « Et le 14 juillet survient l’attentat de Nice. Rebelote ! Avec Pauline, on consacre nos week-ends à recevoir les victimes avec cette particularité qu’il y a beaucoup de jeunes et des parents qui ont perdu des enfants. Ça renvoie à notre propre histoire».

 

Des centaines de victimes viennent témoigner à la barre et à chaque récit c’est un autobus qui te percute.

 

Le procès des attentats va durer près d’un an, entre le 4 septembre et le 5 juillet, « je vis en dehors de chez moi, je subis des pressions, des menaces. Et puis, tu es confronté à l’horreur absolue. Ce qui est paradoxal, c’est addictif et effroyable à la fois. Des centaines de victimes viennent témoigner à la barre et à chaque récit c’est un autobus qui te percute. Et ces victimes, tu les emmènes chez toi, ça ne s’arrête pas à la porte de la cour d’assises. » Gérard Chemla le confie sans honte. « On a écouté 500 à 600 victimes, avec cette sensation d’être un peu voyeur.» Le procès se déroule en plein Covid. « Je l’attrape le dernier jour du procès, un peu comme un message que le corps t’envoie. »

 

Des stigmates toujours présents

 

L’avocat jongle entre Marseille où se joue le procès de l’accident de car de Millas et Paris où se tient le procès de l’attentat de Nice. « C’est très dévastateur. Ça a été une année de plomb. Après, il faut reprendre une vie normale. » Les stigmates sont toujours là et même si « le sujet n’est pas tabou dans notre couple », Gérard Chemla a lâché la présidence de son cabinet. Il n’est plus question de politique. « J’étais en souffrance. Pendant le procès, je me faisais déjà la réflexion que je n’allais pas bien. J’ai appris à vivre autrement. Quant aux consultations avec un professionnel, je continue tant que ça me fait du bien. » 

Gérard CHEMLA, avocat rémois réputé en matière pénale des victimes
Gérard CHEMLA
Avocat associé