Crash d’EgyptAir en 2016 : les familles des victimes françaises reçues par un juge d’instruction
En 2016, 15 Français ont péri dans le crash d'un avion d'EgyptAir. Les familles des victimes, attendues jeudi par un juge d'instruction, espèrent l'annonce d'avancées déterminantes dans l'enquête et, in fine, la mise en examen de la compagnie aérienne.
Depuis plus de sept ans, les familles des victimes françaises du crash de l'Airbus A320 d'Egyptair attendent que la compagnie aérienne soit mise «face à ses responsabilités». Cet espoir, nourri inlassablement par les proches endeuillés, est-il sur le point de se concrétiser ? Les parties civiles seront reçues jeudi matin au tribunal judiciaire de Paris par le juge d'instruction afin de faire un point sur les dernières avancées de l'enquête ouverte en 2016 pour «homicide involontaire». Cette année-là, dans la nuit du 18 au 19 mai, l’Airbus A320 reliant Paris et Le Caire s’est abîmé en mer Méditerranée : les 56 passagers, dont 15 Français, et les 10 membres d’équipage ont été tués.
«Jusqu'ici, nous avons sollicité de nombreux entretiens pour comprendre les causes du drame mais nos questions sont restées sans réponse. Nous attendons donc beaucoup de cette réunion d'information», résument dans un communiqué les parties civiles réunies dans une association de victimes. «Nous espérons surtout que le juge va nous annoncer la convocation d'EgyptAir en vue de sa mise en examen», s'impatiente Sophie Cormary, mère d'un jeune homme de 26 ans qui se trouvait à bord du vol MS804.
«Laxisme» et «manque de rigueur»
Elle dénonce «l'impunité» dont bénéficie la compagnie aérienne depuis ces sept années «interminables». «EgyptAir nous a menti dès le début en privilégiant la thèse de l'attentat (la responsabilité sécuritaire incombe ainsi à l'aéroport de départ, Roissy Charles-de-Gaulle en France, NDLR) et en rejetant tout défaut d'entretien ou de maintenance de l'appareil», tance-t-elle auprès du Figaro. Pour étayer cette version, l'Egypte avait rapidement annoncé que des traces d'explosifs - synonymes de la déflagration d'une bombe en plein vol - avaient été retrouvées sur les corps repêchés en mer.
Or, les prélèvements réalisés par les gendarmes de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) ont permis de réfuter totalement ces déclarations : aucune trace de TNT n'a été retrouvée sur les dépouilles. Quant à celles relevées sur les débris de l’appareil, «les taux sont anormaux et incompatibles avec le temps qu’ils ont passé dans l’eau avant d’être récupérés», souligne une source proche du dossier, achevant de contredire la thèse d'un attentat. Et d’ajouter : «Les expertises démontrent par ailleurs que l'avion est arrivé en un seul morceau à son point d'impact.»
L'Egypte reste malgré tout arc-boutée sur cette théorie et empêche les juges français de réaliser de nouveaux actes d'enquête, malgré ses promesses de coopération au mois de juin 2023 lors d'une rencontre entre le procureur général français Rémy Heitz et son homologue égyptien, souligne l'avocat de l'association de victimes, Me Sébastien Busy. «Pour des raisons politiques et économiques, l'Égypte refuse d'admettre que ce drame est lié au laxisme de la compagnie concernant la maintenance de ses avions et au manque de rigueur de ses équipages», tranche Sophie Cormary, sur la base de rapports d'experts mandatés par la justice française.
L'un d'entre eux, rendu en juin 2021 et que Le Figaro a pu consulter, conclut que le crash a été précipité par une fuite du masque à oxygène d'un des pilotes qui venait d'être changé et la combustion d'une cigarette fumée dans le cockpit, déclenchant un incendie fatal. Il s’appuie notamment sur les données des boîtes noires récupérées par la justice après une perquisition, en 2018, du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) qui s’était gardé de communiquer ces informations aux enquêteurs.
«Nous n’accepterons jamais un non-lieu»
Si la thèse de l'incendie comme cause principale de l'accident n'est aujourd'hui plus contestable, l'avocat de l'association de victimes, Me Sébastien Busy, estime que des recherches supplémentaires sont nécessaires afin de déterminer avec certitude si la fuite d'oxygène est due à une mauvaise manipulation involontaire, ou si elle peut être liée à un montage défaillant du masque par un agent de maintenance. D'autant que l'Airbus A320 d'Egyptair avait émis de multiples messages d'anomalies électriques au cours de ses rotations précédentes, suscitant des interrogations sur un défaut de maintenance. «Les précédents pilotes ont été interrogés par le juge d'instruction égyptien mais ils ont dit qu'il n'y avait eu aucun problème, malgré les alarmes ACARS (qui permettent le contrôle de l'état de l'avion en vol, NDLR) visuelles et sonores qui ont été déclenchées…», soupire, désabusée, Sophie Cormary, représentée par Me Antoine Lachenaud.
«Il faudrait que nos juges puissent entendre les techniciens en charge de la maintenance à l'époque, mais nous n'avons pas l'organigramme de la compagnie», déplore Me Busy. Et d'ajouter, un brin pessimiste : «Sans cela, on ne pourra pas identifier clairement de fautif et engager la responsabilité de l'entreprise sur le plan pénal.» Comme pour se protéger de la peine qui l'étreint, Sophie Cormary refuse néanmoins de baisser les bras : «On sait que ça ne fera pas revenir nos proches, mais nous n'accepterons jamais un non-lieu, soutient cette mère combattive. Il serait insupportable que le juge d'instruction dise qu'on ne dispose pas d'assez de preuves pour mettre en examen EgyptAir.» De son côté, Me Sébastien Busy assure : «Nous ne laisserons pas mourir ce dossier. Aujourd’hui, il y a des points de blocages mais nous allons tout mettre en œuvre pour les faire sauter.»
Par Ambre LEPOIVRE - Le Figaro - 8 novembre 2023