Le cabinet d’avocats ACG a 40 ans : « Je n’aurais jamais imaginé que je parcourrais un tel chemin », commente Gérard Chemla

Le cabinet ACG Avocats & Associés – l’un des plus importants de la région – vient de fêter ses 40 ans à Reims, Châlons-en-Champagne et Troyes où il se trouve simultanément implanté. Le plus médiatique de ses cofondateurs, l’avocat rémois Gérard Chemla, 67 ans, revient sur ce qui tient d’une véritable saga.
Ayant toujours préféré se concentrer sur « l’affaire d’après » voire « le projet d’après », Gérard Chemla (67 ans) n’a que, très récemment, jeté un coup d’œil dans le rétroviseur. « Je me suis d’abord fait la réflexion que je n’avais pas vu le temps passer, dit-il. J’ai l’impression que c’était hier… Et puis, je me suis dit que nous avions construit une cathédrale, sans même en avoir imaginé les plans. Nous avons construit quelque chose qui nous a dépassés ! C’est ça, en fait, l’histoire. »
« Une espèce de polyclinique »
S’il arrive à Châlons-en-Champagne au tout début de sa carrière, c’est par le plus grand des hasards. « N’étant le fils de personne, en tout cas pas d’un avocat, d’un magistrat ou d’un notable, je ne trouve pas de stage à Reims. » Il trouve, en tout cas, un camarade de promotion dans la ville préfecture. « Y étant les seuls avocats stagiaires, Michel Auguet et moi nous rapprochons. Nous allons même, très vite, travailler ensemble. »
Juillet 1981. Ils louent la loge d’une concierge dans un immeuble du centre-ville châlonnais. « Nous ouvrons un cabinet groupé en associant nos incompétences », commente-t-il, les yeux rieurs. Parce qu’il faut en payer le loyer, ils entreprennent de donner des cours. « Un moyen détourné de progresser. »
En janvier 1985, le duo s’associe avec deux autres avocats : Bruno Choffrut et Dominique Guilbault. « Le cabinet s’appelle alors Chemla Auguet Choffrut Guilbault. Ce qui est imprononçable ! » Il devient ACG (Auguet Chemla Choffrut Guilbault) quatre années plus tard. « Je souhaitais faire disparaître nos noms derrière un sigle. »
Et chacun de se spécialiser. « L’idée étant de faire de notre cabinet une espèce de polyclinique, avec des services distincts dans lesquels les avocats sont hypercompétents. »
« La solidarité et les spécialités d’abord. L’argent seulement après »
La formule est la bonne. « Notre activité se développe considérablement. » En 1991, ACG gagne Reims. « Ce qui nous permet d’élargir notre clientèle, et me permet de prendre ma revanche, glisse Gérard Chemla. J’ai alors un certain plaisir à m’imposer aux confrères rémois qui n’ont pas voulu de moi dix ans plus tôt. Ce que je paierai toutefois, en termes de relations. »
Inévitablement, le cabinet se structure. « Il devient une entreprise. » Pour autant, ses valeurs restent inchangées : « La solidarité et les spécialités d’abord ; l’argent seulement après. C’est-à-dire que nous partageons tout et investissons sur les hommes avant de penser à notre revenu. Nous allons par ailleurs chercher des jeunes. Nous les associons et essayons de les faire grandir. Le tout en se faisant plaisir et en étant fier de ce que l’on est ».
« Une amputation »
En 2007, ACG ouvre une antenne à Troyes. « Une extension naturelle, affirme Gérard Chemla, considérant qu’il nous fallait être à l’échelle de la cour d’appel ». Enfin, le cabinet amorce un nouveau virage en 2017. « Lorgnant sur un destin politique, je réfléchis à l’après. » En 2020, ACG se restructure. « Son capital est partagé à parts égales entre ses 25 associés. »
Trois ans plus tard, Gérard Chemla renonce à sa présidence. Aurore Van Hove et Aude Galant deviennent respectivement présidente et directrice générale. « Je l’ai vécu comme une amputation, s’épanche-t-il. Il m’a fallu du temps pour digérer les choses. Mais l’essentiel était que je ne tue pas ce que j’avais créé. ».
Il redevient alors un associé « comme les autres » au sein du cabinet qu’il a créé. Un « paquebot » à bord duquel se trouvent embarquées 70 personnes – moitié avocats, moitié salariés. « Sachant que nous avons atteint les 80 à un moment. »
Autant dire que la responsabilité d’Aurore Van Hove est lourde. « Succéder à Gérard n’est pas une mince affaire, reconnaît l’avocate qui se décrit tel un « bébé Chemla ». Il va falloir préserver le cabinet, garder les mêmes lignes directrices et maintenir notre avance. »
Sa première affaire médiatique payée avec un chevreau
C’est à un éleveur de chèvres que Gérard Chemla doit sa première affaire médiatique. « Il s’était séparé de sa compagne et refusait de lui remettre leur enfant. »
L’éleveur avait été cash. « Il m’avait dit : vous débutez (j’avais six mois de barreau), vous avez donc besoin de notoriété. Moi, je n’ai pas d’argent mais j’ai besoin d’un avocat qui me défende de manière complète. Alors voilà. Je ne rendrai pas mon fils, je vais me faire arrêter. Une fois en prison, je ferai la grève de la faim et de la soif. Et je veux que vous soyez mon porte-parole auprès du grand public, et puis mon défenseur devant le tribunal. »
À son septième jour de grève, Gérard Chemla était interviewé par FR3 à la porte de la prison de Fresnes. « Me retrouver, si jeune, à porter ce dossier… Cela me dépassait déjà ! »
Chanal, Fourniret…
Ses souvenirs l’amènent jusqu’au triangle de Mourmelon. En 1987, une avocate parisienne lui demande d’être sa correspondante. « Rapidement, je deviens l’avocat d’une famille, puis de quasiment toutes les familles des disparus de Mourmelon. C’est mon premier dossier important de partie civile, et le moment où je commence à défendre beaucoup de victimes. »
Après Chanal, Fourniret. Puis l’incendie d’une voiture-lit du Paris-Munich (6 novembre 2002), le tsunami dans l’océan indien (26 décembre 2004), l’attaque terroriste du Bataclan (13 novembre 2015)… Souvent à la faveur de la fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac).
« Les victimes, d’habitude, ont des avocats compassionnels. Moi, je me dis que je ne vais pas faire ça. Je ne veux pas être un pénaliste qui ne fait que faire pleurer, je suis un pénaliste qui fait du droit. Je décide donc de mettre le droit et la procédure au service de mes clients victimes. »
Décès de Vincent Durtette et attentat du Bataclan
« Un tsunami, tant sur les plans personnel que professionnel »
« Il n’est pas un jour sans que je regrette de ne pas partager quelque chose avec lui. » En l’occurrence : le bâtonnier Vincent Durtette, « devenu assez vite une clé de voûte du cabinet ».
« Le seul coup dur – et le mot est faible – que le cabinet ne soit pas parvenu à dépasser, déclare Gérard Chemla. Je me souviens d’une associée qui, le lendemain du drame, m’a demandé ce que nous allions faire, ce que nous allions devenir. Nous avons fini par faire face après avoir subi un tsunami, tant sur les plans personnel que professionnel. »
« Humainement, ça a été terrible »
« Il nous a été demandé, après l’attentat du Bataclan (le 13 novembre 2015), d’être de ceux qui recevraient et aiguilleraient des victimes et familles de victimes. » Gérard Chemla s’est donc rendu à Paris avec deux associés où ils en ont reçu plus de trois cents.
Sachant que l’équipe a par la suite enchaîné avec l’attentat de Nice (le 14 juillet 2016). « C’était extrêmement difficile. Chaque victime nous embarquait dans son histoire. Nous étions alors dans l’écœurement de la douleur, c’est-à-dire que l’émotion était si sollicitée que nous n’en avions plus. Après, cela vous accompagne. J’ai suivi une psychothérapie dans la foulée. Ce qui, malheureusement, ne règle pas tout. Il ne nous reste plus qu’à essayer d’oublier, en nous ressourçant, en faisant des activités extraprofessionnelles. »
Par Sophie Bracquemart, L'Union