Meurtre de Cumières : la relation entre le père et le fils au cœur de la première journée du procès
Ce lundi 24 novembre 2025 s’est ouvert à Reims le procès du meurtre de Jean-Luc Vadin à Cumières, près d’Épernay, le 30 septembre 2022. Le fils du vigneron est l’accusé du crime, qu’il a reconnu. Cette première journée s’est attardée sur la personnalité de Yann Vadin.
Yann Vadin, 36 ans, a tué son père. Il l’avoue sans problème depuis sa mise en examen, le 6 octobre 2022, quelques jours après la mort par arme à feu de Jean-Luc Vadin, 57 ans, au sein même de sa propriété de Cumières, au nord d’Épernay. Ce lundi 24 novembre 2025, premier jour du procès aux assises de la Marne qui doit durer jusqu’à jeudi, le tribunal présidé par Catherine Hologne a surtout cherché à établir les faits de cette journée fatidique (voir ci-contre) mais aussi la personnalité de l’accusé. Et, en filigrane, celle de son père dont l’ombre a longuement occupé la matinée d’audience dans une salle pleine.
La présidente du tribunal s’est d’abord penchée sur l’enfance de Yann Vadin et sa relation avec son père. Il en ressort une enfance « gâtée » où l’accusé ne manquait de rien. Ce qui a étonné la juge, le fils se plaignant, avec sa mère et sa sœur, d’une relation distante, d’un père « dur et autoritaire qui travaille tout le temps ». « C’était ponctuel et matériel », avance Yann Vadin, sans convaincre la présidente qui note « que vous partiez ensemble en vacances deux à trois fois par an » et que « votre sœur expliquait que vous suiviez votre père partout, que vous étiez l’élu pour reprendre l’affaire ».
Gérard Chemla, avocat des parties civiles, ira dans le même sens en demandant à Yann Vadin s’il était « un enfant martyr ». « Non », répond Yann Vadin qui ajoutera : « Mon père restera mon père et il n’y a pas une seule fois où je ne regrette pas ce que j’ai fait. Est-ce qu’il a été méchant avec moi ? J’avais plus l’impression d’être un simple ouvrier. Il n’y avait plus de relation père-fils, juste celle de deux associés. »
C’est justement l’un des nœuds de l’affaire. Comment s’est-il retrouvé à gérer une affaire qui, visiblement, provoquait beaucoup de souffrances ? La présidente a rappelé que Yann Vadin avait fait part à des proches de son envie de tout arrêter.
En 2011, il vit mal la séparation de son père et de sa mère, qu’il n’a pas vu venir. Il reste auprès de son père. Quand la juge lui demande comment sa famille était perçue de l’extérieur, il répond : « Dans ce genre de famille, il faut serrer les dents et dire que tout va bien. Le paraître est important. Le jugement des autres aussi. » Il coupe les ponts avec sa mère, partie chez son nouveau compagnon, et sa sœur. « J’étais en colère. Je lui en voulais », explique-t-il. Ce ne sera qu’après le meurtre qu’il reprendra contact avec elles, qui sont devenues de facto les gérantes de l’exploitation après le décès de M. Vadin.
Deux ans plus tard, Jean-Luc Vadin rencontre, lors d’une visite de cave, celle qui sera sa compagne jusqu’à son décès. Elle vit à Anvers, en Belgique. Elle a visiblement été mal acceptée par la famille et Yann Vadin lui-même. Ils l’appelaient « la Belge ». « On dirait « l’arabe », ça choquerait tout le monde, Monsieur. Elle est avec votre père depuis neuf ans et pour vous, c’est “la Belge”. C’est une formulation qui est foncièrement raciste, Monsieur… », attaque la présidente face à un Yann Vadin penaud qui s’excuse.
Catherine Hologne enfonce le clou : « Vous reprochez à votre père d’être rigide par rapport à vous mais vous l’êtes vous-même. » « J’ai ouvert les yeux sur ma vie en général avec le suivi psychologique en prison », répond l’accusé qui répétera à de nombreuses reprises combien il a pu être aidé par son psychologue en prison, où il est qualifié de détenu modèle, passionné par la cuisine.
C’est en 2017 qu’il devient cogérant, toujours dans l’optique de reprendre l’affaire de son père. « C’est à ce moment que la tension s’est aggravée », assure Yann Vadin qui expliquait plus tôt que « mon père ne m’a jamais dit qu’il était fier de moi » tandis qu’il essayait de développer l’export. « Son père était très fier de lui par rapport à ça », assure pourtant Didier P., employé de l’exploitation pendant plus de 30 ans, qui a répété à la barre que les deux s’entendaient bien, comme d’autres proches selon l’enquête. « Jean-Luc aimait son fils et sa fille », insiste-t-il.
« Pourquoi n’êtes-vous pas parti ? », a demandé la juge. « Vous aviez peur de vous fâcher ? De ne plus vous adresser la parole ? » Yann Vadin hésite. « J’aurais coupé les ponts avec mon père et le reste de la famille… »
Quelqu’un qui ne sait pas dire non, c’est cette facette que son avocate, Naïri Zadourian, a voulu pointer dans une défense très rythmée. « Est-ce que vous reconnaissez la mort ? » « Oui. » « Est-ce que vous avez des dettes avec la société ? » « Oui. » « Est-ce que ce meurtre aurait réglé vos dettes ? » « Non. » L’objectif est clair : montrer que le mobile du crime n’est pas l’argent mais les « pressions » qu’il affirmait subir de la part de son père.
La question de l’argent
Comme l’enquête l’a démontré, Yann Vadin avait un grand train de vie dans sa belle propriété avec ses chevaux, la passion de sa femme. « On a noté chaque mois des prélèvements de plus de 8 000 euros sur le compte social de l’entreprise », souligne le directeur de l’enquête. Outre le meurtre sur ascendant, Yann Vadin est poursuivi pour abus de confiance. Il a transféré presque 500 000 euros depuis les comptes de la société entre le 1er novembre 2020 et la date du meurtre. Le montant du détournement exact reste à déterminer. Ce sera sans nul doute un des points clés de la journée de ce mardi, où onze témoins, proches et membres de la famille seront appelés à la barre.
Le retour de la thèse bancale du suicide
À la toute fin de l’audience, la présidente du tribunal a souhaité établir les faits reconnus par l’accusé. Surprise, Yann Vadin est revenu à sa première version, où il disait souhaiter se suicider chez son père. Et, pris d’un accès de colère, dit-il, il avait fini par l’abattre de trois balles, dont deux dans le dos, au sol.
« Je m’assois dans la salle de dégustation, je mets le menton sur le canon de mon fusil, raconte-t-il dans un souffle. Je me pose plein de questions à ce moment-là. Toute cette pression, cette exploitation… Je monte vers la chambre de mon père, prêt à en découdre. Arrivé au moment où je pose la main sur la poignée de porte, j’ai un moment d’hésitation. J’ai dû faire du bruit et… Ça a dû réveiller mon père. Je suis reparti dans les escaliers et je l’ai entendu sortir de la chambre. J’aurais dû partir mais je suis resté… Je voulais en finir. J’ai entendu mon père arriver. J’ai tiré une première fois. Je me suis remis dans les escaliers mais je l’entendais encore gémir. J’ai rechargé une deuxième fois, j’ai tiré. Je me suis remis dans les escaliers et je l’entendais encore… J’ai rechargé une troisième fois et j’ai tiré. Après le troisième tir, je ne l’ai plus entendu. » Le silence se fait dans la salle.
« Vous avez pourtant dit, avec constance depuis deux ans au juge d’instruction : “C’était moi ou lui” », rétorque la juge. Elle cite ce qu’il a raconté au magistrat chargé de l’instruction : « La solution était de le tuer pour que cette pression s’arrête. »
Gérard Chemla, avocat des parties civiles, n’en croit pas un mot, rappelant qu’il a coupé les caméras de surveillance devant sa propriété d’Arcis-le-Ponsart avant le meurtre, s’est garé à 500 mètres de l’exploitation, a pris soin d’emporter plusieurs cartouches, de renverser le bureau et de casser une vitre pour simuler un cambriolage… « Vous n’avez pas le parcours d’un homme agité ou qui perd la mémoire (…) N’est-ce pas, au jour de votre procès, le moment de dire la vérité ? », assène l’avocat. « Je dis la vérité », répond immédiatement Yann Vadin. Un rétropédalage en règle.