« Sans mon attitude au volant, peut-être qu’ils auraient encore leur enfant auprès d’eux » : une conductrice condamnée après un homicide involontaire à Dormans

Cette trentenaire, par son manque de vigilance au volant, a causé la mort d’Esteban, 21 ans, le 14 mai 2023 à l’entrée de Dormans. Le tribunal l’a condamnée à 15 mois de prison avec sursis.
« Je ne vis plus, je survis, la vie n’a plus de sens. » Cette mère, « détruite physiquement et mentalement », « amputée » depuis le tragique décès de son fils, Esteban, 21 ans, le 14 mai 2023, glace la salle d’audience en ce mercredi 30 avril. Le silence qui suit est lourd.
Le dossier jugé ce jour-là est « horrible », tout le monde en convient au tribunal. Le jeune homme a perdu la vie à l’entrée de Dormans, vers 3 heures du matin, alors qu’il revenait à pied d’une soirée à Vassieux. Une fête écourtée après qu’il a été pris de maux de ventre aussi soudains que lancinants. Tordu de douleur, il a fini par s’écrouler sur la route, le long de la chaussée. Plusieurs automobilistes l’ont croisé, sans s’arrêter pour l’aider. La dernière conductrice à passer là, bien qu’alertée par des appels de phare et des coups de klaxon un peu en amont, ne l’a pas vu allongé au sol. Son véhicule Dacia l’a écrasé. Elle a continué sa route pensant avoir percuté « un objet ». La réalité était autre…
La trentenaire est ainsi rentrée chez elle avant de s’apercevoir que le véhicule, emprunté à son père, présentait des dégâts. La suite, c’est un morceau de vêtement repéré accroché sur son pare-chocs, un retour sur les lieux pour vérifier qu’elle s’est trompée, la vue des secouristes, toujours affairés à tenter de réanimer le jeune Marnais, et un arrêt immédiat à la gendarmerie pour se dénoncer. « Je n’ai pas voulu fuir, mais je n’ai pas réalisé ce qu’il s’est passé. J’espérais encore que ce soit une branche ou un animal », témoigne-t-elle à l’audience, en cette fin avril, près de deux ans jour pour jour après l’accident.
Ce qui se déroule cette nuit-là, deux histoires qui se croisent pour le pire, « aurait pu arriver à tout le monde malheureusement », insiste la conseil de la prévenue, Me Opyrchal, qui invoque « la faute à pas de chance », mais le tribunal ne statue pas ainsi. Il se base sur des faits. Et l’enquête démontre que la trentenaire, ce 14 mai 2023, dans la nuit noire, « a commis une imprudence, ou une négligence, une maladresse, un manque de vigilance, appelons ça comme on veut, note le ministère public pour qualifier son acte, et cette petite cause a eu des conséquences dramatiques ».
La conductrice n’a en effet pas immédiatement tout dit aux gendarmes des circonstances de l’accident. « Pourquoi avez-vous attendu sept mois et votre deuxième audition pour dire qu’un appel Facetime était en cours ? », questionne l’avocate de la mère et du frère de la victime, Maître Pauline Manesse - Chemla. La prévenue ne dit mot. Elle « ne sait pas ». Le son sortait en Bluetooth par les enceintes de la Dacia, le téléphone était lui, selon ses dires, posé sur le siège passager, « il filmait le plafond, elle était donc comme en kit mains libres », défend son avocate. Mais peu importe au fond, la visio était lancée et c’est cette discussion téléphonique, à une heure tardive au volant, qui ne lui a pas permis de se concentrer sur son trajet, ni d’adapter sa vitesse aux circonstances.
Elle n’a de fait pas vu qu’un de ses feux présentait un défaut d’éclairage, ne s’est pas rendu compte qu’une autre automobiliste, qui a croisé sa route, tentait de l’avertir en amont à grands coups d’appel de phare à 2 h 57. Elle ne s’est pas non plus immédiatement arrêtée après le choc, alors que « son véhicule a penché à gauche », dixit le tribunal comme l’a laissé voir la vidéosurveillance, avant de claquer lourdement contre le sol. Le bruit est alors « si énorme », reprend Me Quentin, conseil du père d’Esteban, qu’il est entendu jusque dans la résidence pour personnes handicapées, Les Séquoias, située à une centaine de mètres de là. Mais malgré tout, la Marnaise décide de rentrer chez elle, sans même ralentir.
La prévenue, « effondrée » à la barre, ne dit pas le contraire, mais n’a pas d’explication à donner. Son silence est parfois si long, après les questions qui lui sont posées, qu’on entend tourner les aiguilles de la pendule fixée au mur de la grande salle d’audience. Elle s’excuse ainsi auprès des proches de la victime, « aucun mot ne pourra apaiser leurs souffrances ». Eux pourtant ont besoin de « comprendre » pourquoi Esteban a subitement perdu la vie en une fraction de seconde ce jour-là, mais les réponses ne viennent pas. Les précisions sur l’origine de sa distraction, le choix qu’elle a fait de rester en ligne tout en roulant, non plus.
La prévenue murmure cependant : « Sans mon attitude au volant, peut-être qu’ils auraient encore leur enfant auprès d’eux », avant de reconnaître clairement par un « oui » lâché entre deux sanglots, poussée par le ministère public qui lui pose par deux fois la question, avoir commis un « homicide involontaire ».
Par Margaux Declémy