Son statut de « pointeur » ou une simple embrouille : qu’est-ce qui a poussé Yahia Soukkou à tuer son codétenu à Châlons ?

Publié le 26 juin 2025
L'Union
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Certains laissent entendre que l’accusé n’aimait pas ceux que l’on appelle « les pointeurs » tandis que lui s’évertue à plaider la « légitime défense » comme il l’appelle, loin du sens juridique que celle-ci revêt. Yahia Soukkou a été entendu pour le premier jour de son procès ce jeudi 26 juin 2025.

Un gymnase décrépi, un sol effrité et le tout noyé dans la lumière blanche et aveuglante de néons à l’ancienne. Le décor pourrait illustrer la situation de toutes les prisons de France et de Navarre. Dans cette salle de sport de la maison d’arrêt de Châlons, un groupe de prévenus se défoule en pratiquant une activité sportive.

Le 25 octobre 2023, deux hommes échangent quelques balles sur une table de ping-pong. Non loin de là, les footeux, dont Yahia Soukkou qui purge sa quatorzième condamnation, enchaînent passes et contrôles. Au fil de gestes qui ne frisent pas la grande technique, ils empiètent vers la surface de jeu de leurs voisins.

Sans vraiment le dire, ils les cherchent, les canulent comme on dit plus familièrement. Le ballon dévie de sa trajectoire. Ce n’est pas le fruit du hasard. La bande tire délibérément vers les deux pongistes, des « pointeurs », dit-on dans le huis clos des maisons d’arrêt. Ou, dit dans d’autres termes, des hommes poursuivis pour des faits de nature sexuelle, dont les victimes sont bien souvent des enfants.

Ces détenus ne sont pas vraiment comme les autres. Le traitement qui leur est réservé dans le milieu carcéral est rude. Qu’ils soient déclarés coupables ou en attente d’un jugement, peu importe. Les « pointeurs » sont « louches ». « De manière générale, ils sont identifiés et ce ne sont pas ceux avec qui on a envie de se mélanger », décrit Thomas Grondin, ex-encadrant sportif de la prison de Châlons, avant d’être lui-même condamné pour trafic de stupéfiants.

Les footeux dans leur coin cherchent quelques noises aux présumés pointeurs. Est-ce par rapport à cette étiquette ? Oui et non selon les versions, c’est à la convenance et l’appréciation de chacun. En tout cas, pour un motif aussi flou que visiblement futile, Yahia Soukkou « décroche une patate », raconte un détenu, à l’un des deux pongistes. Un coup droit dans le visage, clinique et d’un panache assuré. Le drame ne se fait pas attendre. La victime s’effondre avant de convulser et deux jours plus tard, de mourir.

En fait, sur le coup, tout le monde pense à un simple incident de détention, malheureusement loin d’être sporadique. À cela près que celui-ci plongera le pongiste frappé dans une mort cérébrale quasi instantanée et inéluctable, « peu importe la prise en charge », dixit le médecin légiste. « Personne, moi le premier, n’envisageait cette issue, se souvient l’encadrant sportif. C’est quand je l’ai vu (la victime, NDLR) s’uriner dessus au sol que j’ai su que ça allait être chaud. »

Yahia Soukkou fait preuve d’une force insoupçonnée, presque opposée à sa carrure longiligne et son visage tout creusé. Tout comme cet épisode semble opposé à la description donnée par deux surveillantes pénitentiaires devant la cour d’assises.

C’est un peu aussi la loi de la prison, celle forgée par des stéréotypes de virilité, de puissance, de pouvoir par le biais de la violence, qui pousse Yahia Soukkou à répliquer. La loi carcérale impose d’être le plus fort. Donc quand la victime se rebiffe contre l’accusé, le coup part de manière presque automatique. « Si je ne réponds pas, c’est toute ma vie qu’on va me racketter en prison », soutient-il.

Puis, poussé par son conseil et sûrement éreinté par une journée d’audience précédée d’une insomnie, Yahia Soukkou fend sa carapace : « C’est quelque chose de grave, je sais. C’est une vie qui s’est éteinte. C’est la mienne qui va changer. C’est grave. » Enfin, à la question de Maître Sébastien Busy : « Pensez-vous avoir bien agi ? », l’accusé répondra sobrement, trémolos dans la voix et les yeux fixés sur ses chaussures que « non ».

Cassandra Ducatillon, pour L'Union

 

Sébastien BUSY, avocat pénaliste à reims. Il intervient en droit pénal, crash aérien, permis de conduire
Sébastien BUSY
Avocat associé