Loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic : la problématique du « dossier coffre »

La loi du 13 juin 2025, dite « loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic » (n° 2025-532), poursuit l’objectif politique affiché de renforcer l’arsenal juridique de lutte contre la criminalité organisée.
Les principales innovations de cette loi sont au nombre de trois :
- Création d’un parquet national anticriminalité organisée (PNACO) :
- Création d’un parquet spécialisé à compétence nationale, déjà approuvée par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 12 juin 2025, n° 2025-885 DC).
- Sa compétence sera prioritaire sur celle des autres juridictions lorsque l’action publique n’a pas été mise en mouvement, mais elle pourra être co-saisies avec la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS).
Une cour d’assises spécialisée compétente pour les crimes commis en bande organisée est également instaurée.
Un nouveau régime carcéral plus strict :
- Création de quartiers dédiés à la criminalité organisée (C. pénit., art. L. 224-5 s.) ;
- Fouilles intégrales systématiques après tout contact avec l’extérieur sans surveillance ;
- Restrictions d’accès au parloir et aux communications téléphoniques.
Le Défenseur des droits alertait sur ces propositions dans son avis n° 25-03 du 13 mars 2025, considérant de manière générale que ce régime n’était pas assorti de garanties suffisantes, et contraires au droit à la santé, à la vie privée et familiale et aux droits de la défense. (Avis n° 25-03 du 13 mars 2025)
Concernant les fouilles, le Conseil Constitutionnel a émis deux réserves d’interprétations : celles-ci doivent être réalisées uniquement lorsque la surveillance de la visite par l’administration pénitentiaire n’a pas été possible et l’obligation pour l’administration de prévoir des assouplissements du régime de fouilles pour tenir compte de l’état de santé ou de vulnérabilité de la personne détenue, ainsi que de la qualité particulière de la personne avec laquelle le contact physique a lieu. (Cons. const. 12 juin 2025, n° 2025-885).
- Procès-verbal distinct dit « dossier coffre » : permettant de ne pas faire figurer au dossier pénal certaines informations portant sur la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête devant servir d’orientation des procédures.
Compte tenu des importantes restrictions aux droits de la défense que ce mécanisme implique, le Conseil Constitutionnel a été amené à se prononcer sur la constitutionnalité de ces nouvelles dispositions.
Le mécanisme du « dossier coffre » :
L’article 40 de la loi du 13 juin 2025 prévoyait l’introduction de trois nouveaux articles :
Le nouvel article 706-104 du Code de procédure pénale :
- Dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 70673 et 706731, et sur requête motivée du parquet ou du juge d’instruction, le JLD peut autoriser que ne figurent pas au dossier :
- La date, l’heure et le lieu d’installation de dispositifs techniques (interceptions, sonorisations, captations de données, etc.) ;
- L’identité des personnes ayant concouru à ces opérations ;
- Ce régime est prévu uniquement en cas de risque grave pour la vie ou l’intégrité des personnes concernées ;
- Les informations sont consignées dans un PV distinct, accessible seulement à certains magistrats (procureur, Juge d’instruction, Juge des Libertés et de la détention, président de la chambre de l’instruction).
Le nouvel article 706-104-1 du Code de procédure pénale :
- Prévoit l’instauration d’un recours autonome contre la décision du JLD ;
- Recours ouvert au mis en cause (pendant l’enquête), au mis en examen ou au témoin assisté (pendant l’information judiciaire) ;
- Juge compétent : président de la chambre de l’instruction, avec possibilité de renvoi à la collégialité ;
Mais surtout ce nouvel article introduit une garantie essentielle : aucune condamnation ne peut reposer sur des éléments contenus uniquement dans le dossier coffre, sauf si ces pièces sont, après contestation, versées au dossier.
La censure du nouvel article 706-104-2 CPP :
- Cet article prévoyait une exception permettant de fonder une condamnation sur des éléments non communiqués, lorsque leur divulgation exposerait des personnes à un risque « excessivement grave ».
Il a fait l’objet d’une saisine du Conseil Constitutionnel, les députés à l'origine de sa saisine lui reprochant de porter une atteinte non nécessaire et disproportionnée au droit à un procès équitable et aux droits de la défense, et d’enfreindre le principe d’égalité devant la justice.
Si les Sages valident le principe du dossier coffre, au nom de la prévention des représailles et de la protection de l’ordre public, ils ont examiné les conditions entourant cette mesure, soit : les infractions permettant sa mise en œuvre ; la restriction faite à un nombre restreint de techniques spéciales d’enquête, le risque d’un danger pour la vie ou l’intégrité physique lié à la divulgation, le contrôle du juge des libertés et de la détention ; les informations qui seront tenues secrètes, et la possibilité pour le mis en examen de contester le versement de ces pièces au dossier coffre.
Le Conseil Constitutionnel l’a déclaré contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dès lors que ces dispositions « n’excluent pas toute possibilité qu’une condamnation fondée sur des éléments qui n’ont pas été pleinement soumis au contradictoire ».
Le Conseil l’a rappelé à juste titre : « Le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense impliquent en particulier qu’une personne mise en cause devant une juridiction répressive ait été mise en mesure, par elle-même ou par son avocat, de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en cause ».
Le droit français connaissait déjà des aménagements du contradictoire :
- Anonymat de certains agents (art. 15-4 CPP), infiltrés (art. 706-84), collaborateurs de justice (art. 706-63-1), témoins (art. 706-58) ;
- Procès-verbal distinct en matière de géolocalisation (art. 230-40 à 230-42 CPP), mais avec la garantie selon laquelle aucune condamnation ne peut être prononcée sur le fondement des éléments recueillis dans les conditions prévues à l'article 230-40, sauf si les éléments « cachés » ont finalement été versés au dossier (art. 230-42).
La jurisprudence européenne elle, est venue rappeler le principe selon lequel tout procès pénal doit garantir le caractère contradictoire et l’égalité des armes (CEDH, not. § 67 sur le « dossier confidentiel » belge).
La décision du Conseil constitutionnel traduit une ligne de crête :
- D’un côté, la reconnaissance de la nécessité de protéger les enquêteurs et tiers face à des organisations criminelles structurées et le nécessaire renforcement des techniques spéciales d’enquête ;
- De l’autre, le refus d’admettre qu’une condamnation puisse reposer sur des éléments inaccessibles à la défense, rappelant ainsi l’importance du contradictoire en matière pénale.
Ainsi, si les droits fondamentaux semblent préservés à ce stade, la logique de confidentialité procédurale, même strictement encadrée, tend à progresser au nom de l’efficacité répressive.
Une évolution qui n’est pas sans interroger sur l’équilibre futur de la procédure pénale.
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