Responsabilités et délais d’action au titre de travaux de reprise ou de réparation mal effectués

Des travaux de reprise intervenant après la réception, mal effectués, peuvent-ils permettre de dépasser le délai d’action de 10 ans suivant la réception ?
Plus spécialement, lorsqu’un désordre a été réservé, et que des travaux de reprise sont effectués, donnant lieu à une levée de la réserve, cette levée de réserve fait elle démarrer un nouveau délai d’action ?
En application de l’article 1792-4-1 du code civil, le délai de garantie décennale est ainsi défini :
« Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article. »
La ou la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer…
En tenant ce principe pour acquis, les garantie légales (décennale, biennale, parfait achèvement) ont donc pour point de départ la réception, étant ici rappelé :
- Qu’elles ne s’appliquent pas aux désordres réservés, qui restent de la seule responsabilité contractuelle de droit commun de l’entreprise.
- Que l’assurance dommages ouvrage, lorsqu’elle a été souscrite, peut malgré tout intervenir sous certaines conditions (Civ. 3e, 1er avril 2021, FS-P, n°19-16.179).
Il ne devrait donc pas y avoir « de différé » du point de départ des garanties légales, que la réception soit expresse, tacite ou judiciaire, et ce avec ou sans réserves.
Cette lecture stricte évite une multiplication de points de départ différents, et donc de faire partir des délais de prescription différents, lorsque certaines parties de l'ouvrage ont fait l’objet de reprises dans le cadre de la garantie de parfait achèvement.
Mais il n’en reste pas moins que, pour les parties de l’ouvrage ayant fait l’objet de réserves, le délai biennal ou décennal aura commencé à courir, alors même que l’ouvrage est, pour celles-ci, imparfaitement réalisé…
Le juge administratif vient de rendre une décision entérinant fermement cette version stricte : l’action en garantie décennale doit être engagée dans les 10 ans de la réception, quel que soit son mode d'établissement (CE, 7e et 2e ch. réunies, 20 décembre 2024, n° 475416, Lebon T).
La solution est plus nuancée devant les juridictions civiles : il a pu être jugé que l’effet de la réception est reporté, concernant les désordres réservés, à la date de levée de celles-ci (Cass. 3e civ., 19 nov. 1980, n° 79-14.620 ; Cass. 3e civ., 8 avr. 1992, n° 90-17.884).
En l’absence de décision récente, à l’instar de celle précitée qui vient d’être rendue par le Conseil d’Etat, la prudence recommandera d’interrompre le délai, et ce au seul moyen d’une action en justice, dans les 10 années de la réception.
Il reste néanmoins que l’on pourrait effectuer un distinguo selon le moment où les travaux de reprise interviendront, et aussi les circonstances de ceux-ci :
- Lorsque les travaux sont réalisés par l’entreprise en charge de l’ouvrage initial, dans son délai de parachèvement, il s’agit pour elle d’exécuter en nature son obligation de parfait achèvement, et de lever une réserve.
Dans cette hypothèse, il parait entendable qu’il n’y a pas matière à reporter les effets de la réception à la date de la levée de la réserve.
- Dans le cas où les reprises interviennent postérieurement au délai de parfait achèvement, en application cette fois de la garantie légale (biennale ou décennale), et si ces travaux peuvent en eux-mêmes être qualifiés d’ouvrage (c’est-à-dire, pour schématiser, des travaux faisant appel aux technicités de la construction, et présentant soit un caractère d’immobilisation soit à tout le moins une certaine ampleur), un nouveau délai de garantie court à compter de la réception de ce « nouvel ouvrage », (Cass. 3e civ., 29 juin 1983, n° 82-11.991), mais dans ce cas, pour ce seul ouvrage, et non pour l’ouvrage initial.
Il en sera évidemment de même si les travaux de reprise sont effectués par une toute autre entreprise, y compris, alors, dans le délai de parfait achèvement de la première.
Une précision importante doit être apportée en ce qui concerne la naissance de cette nouvelle garantie décennale :
Certes, celle-ci est potentiellement mobilisable dans les 10 ans de la réception des réparations, mais elle ne sera acquise qu’en respectant toutes les conditions de la garantie décennale :
Parmi celles-ci, il est nécessaire de démontrer que les dommages, qui perdurent, trouvent bien leur source dans ces réparations, et non pas seulement dans la mauvaise réalisation des travaux d’origine (Cass. 3ème Civ: 16 janvier 2008, n° 04-20218 ; Cour de cassation, Chambre civile 3, 16 septembre 2021, 19-24.382)
Autrement dit, des réparations qui seraient « seulement inefficaces » n’engagent pas la responsabilité décennale du « réparateur », mais restent à la charge de l’entreprise ayant effectué les travaux d’origine, et le cas échéant de son assureur décennal.
On précisera que si la même entreprise effectue à la fois les travaux d’origine, affectés de désordre de nature décennale persistants, et ensuite, des travaux de reprise inefficaces, les travaux ne seront éventuellement garantis que par l’assureur décennal d’origine, et non pas par l’assureur décennal à la date des réparations, si l’entreprise a changé d’assureur dans l’intervalle.
Il n’en reste pas moins que l’entreprise qui intervient pour réaliser des travaux « seulement inefficaces » n’est pas nécessairement exempte de tout reproche :
D’une part, elle pourrait malgré tout se voir reprocher d’avoir manqué à son obligation contractuelle de résultat, et être à minima condamnée à rembourser le cout de ses travaux à titre de dommages et intérêts.
D’autre part, elle pourrait également se voir reprocher les autres préjudices du maître d’ouvrage, qui voit perdurer les conséquences de ses dommages, telles que des dégradations supplémentaires, ou des préjudices de jouissance ou locatifs.
En revanche, cette absence de responsabilité décennale n’a pas lieu d’être lorsque l’entreprise effectue des réparations qu’elle sait inefficaces, la Cour de Cassation jugeant régulièrement qu’elle doit, dans ce cas, s’en abstenir (Cass. 3e civ., 21 mai 2014, 13-16.855, Cass. 3e civ., 18 oct. 2018, n° 17-15.200 ; Cass. 3e civ., 10 sept. 2020, n° 19-11.218).
Ainsi, l’entreprise ne peut pas valablement, même en émettant des réserves dans son devis, et même si le maître d’ouvrage s’en déclare parfaitement informé, proposer une intervention tout en sachant qu’elle ne permettra pas de réparer correctement.
La plus grande prudence s’impose donc à l’entreprise qui doit s’abstenir de céder « pour rendre service » à son client, en acceptant de réaliser des travaux de fortune plutôt qu’un travail dans les règles de l’art.
En cas d’urgence (infiltrations, affaissement), elle prendra garde de dénommer ses travaux correctement, en mesures « de protection », ou « de sauvegarde » et s’abstenir de toute mention annonçant des « reprises » ou des « réparations ».
Véronique BEAUJARD, avocate au barreau de Reims, spécialiste en droit immobilier - construction
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