L’employeur peut-il demander l’annulation de la rupture conventionnelle si son salarié lui a menti sur ses motivations ?

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De façon traditionnelle, lorsque l’on envisage la rupture du contrat de travail, il est invoqué la démission, à l’initiative du salarié, et le licenciement, à l’initiative de l’employeur. Toutefois, depuis la loi portant modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, le législateur a instauré un mode de rupture amiable reposant sur l’accord du salarié et de l’employeur : la rupture conventionnelle.

En pratique, la rupture conventionnelle tend à devenir le mode de rupture le plus fréquent par les avantages qu’elle confère tant à l’employeur (sécurisation de la rupture) qu’au salarié (indemnité de rupture et ouverture des droits auprès de Pôle Emploi).

Aussi, l’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 11 mai 2022 (n° 20-15.909) apporte une contribution éclairante sur le sort de la rupture conventionnelle lorsque le salarié a menti pour pouvoir en bénéficier.

Dans les faits rapportés par l’arrêt, le salarié d’une société automobile avait demandé une rupture conventionnelle à son employeur en soutenant qu’il avait un projet de reconversion professionnelle. Manifestement compte tenu de ce motif particulier, l’employeur a accepté cette rupture.

Cependant, après la régularisation de la rupture conventionnelle, l’employeur a appris que son ancien salarié l’avait trompé sur le motif réel de sa demande, puisque la véritable raison de la rupture était son embauche par la concurrence comme directeur commercial. S’estimant trompé, l’employeur a saisi les juridictions prud’homales en demandant la nullité de la rupture conventionnelle.

La Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion a fait droit à la demande de l’employeur en retenant que le salarié avait invoqué un projet mensonger, ce qui constituait une manœuvre constitutive d’un dol, c’est-à-dire ayant trompé l’employeur et justifiant donc l’annulation de la rupture conventionnelle.

Le salarié a formé un pourvoi en cassation.

Or la Haute juridiction casse la décision de la Cour d’appel en considérant que les premiers juges ont commis une erreur de droit.

En effet, la Cour de cassation rappelle que la tromperie est bien une cause de nullité mais souligne qu’il est impératif de démontrer que ces manœuvres ont été déterminantes du consentement du cocontractant, c’est-à-dire que sans ces manœuvres l’autre partie n’aurait pas contracté. La charge de la preuve pesant sur celui qui invoque le dol, il appartient donc à l’employeur de démontrer que sans le mensonge du salarié, il n’aurait pas accepté la rupture conventionnelle.

La Cour de cassation applique à la rupture conventionnelle la solution qu’elle retient de façon classique.

Il appartient donc à l’employeur qui souhaite obtenir l’annulation de la rupture conventionnelle en raison des mensonges de son salarié de démontrer que c’est bien le motif avancé par ce dernier qui l’a déterminé à accepter la rupture conventionnelle.

En pratique, il est particulièrement difficile de rapporter cette preuve car le plus souvent les échanges pour envisager la rupture sont réalisés de façon informelle.

Cependant, si l’employeur est confronté à un motif particulier avancé par un salarié et qu’il souhaite accepter la rupture pour cette raison précise, il ne peut que lui être conseillé d’indiquer par écrit (LRAR ou remise en main propre signée) son accord en mentionnant qu’il a été déterminé par ce motif spécifique et que pour une autre raison, il aurait refusé.

L’employeur a d’ailleurs un intérêt particulier à obtenir l’annulation de la rupture conventionnelle si son salarié lui a menti.

En effet, au-delà du mensonge, l’annulation de la rupture conventionnelle obligera le salarié à restituer l’indemnité de rupture versée, mais ce dernier devra également payer une indemnité pour le préavis qu’il n’a finalement pas exécuté, la rupture annulée s’analysant effectivement comme une démission.

A l’inverse, il est conseillé au salarié de faire preuve de prudence lors de la sollicitation de la rupture conventionnelle auprès de son employeur.

Les enjeux ne sont pas négligeables et le cabinet ACG est à votre disposition pour vous assister et vous conseiller.

Olivier BARNEFF
Avocat associé

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