Revirement de jurisprudence : l’indemnisation des passagers victimes
Par un arrêt du 19 novembre 2024, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence concernant l’indemnisation des passagers victimes d’un accident de la route.
Elle juge désormais que les clauses exclusives de garantie en matière d'accident de la circulation sont inopposables à l’assuré, passager victime, qui a laissé en connaissance de cause conduire son véhicule par une personne non titulaire du permis de conduire.
Dans le cas d’espèce, un conducteur circule sans permis, sous l’influence de l’alcool et des stupéfiants, et cause un accident avec le véhicule qu’il conduisait, assuré auprès d'une société d'assurance. Son passager, propriétaire du véhicule et assuré, a été blessé.
Le tribunal correctionnel a déclaré le conducteur coupable des chefs de blessures involontaires aggravées, et a retenu qu'il était entièrement responsable du préjudice subi par son passager.
Sur intérêts civils, le tribunal a, notamment, déclaré recevable l'intervention volontaire du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO), accueilli l'exception d'exclusion de garantie opposée par la société assurant le véhicule.
La clause d’exclusion de garantie est celle qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque.
Cette décision a pour effet de priver le passager victime de toute indemnisation par sa compagnie d’assurance, le tribunal estimant qu’il s’est placé lui-même en situation de danger, contribuant ainsi à la réalisation du dommage.
La Cour d’Appel a déclaré recevable l’exclusion de garantie de la société, et a débouté le FGAO de sa demande de mise hors de cause. Elle a considéré ainsi que si une telle exclusion de garantie n'est pas, en principe, opposable à la victime, elle le devient lorsqu'elle s'est elle-même mise dans la situation exclusive de garantie.
Sur ce point, la Cour jugeait jusque-là que ces clauses d'exclusion étaient, par exception, opposables à la victime qui, souscriptrice du contrat d'assurance, avait laissé conduire son véhicule par une personne qu'elle savait ne pas être titulaire du permis de conduire et s'était donc elle-même placée, en connaissance de cause, dans une situation exclusive de la garantie (Cass. crim., 8 nov. 1990, n° 88-86.418 ; Cass. 2e civ., 20 nov. 1996, n° 94-20.884 ; Cass. 1re civ., 6 juin 2001, n° 98-19.023).
Cette solution était en contradiction avec le droit européen. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) estime le fait qu'une personne était assurée pour conduire le véhicule ayant causé l'accident ne permet pas de la priver de la qualité de tiers lésé au sens de cet article 13, dès lors qu'elle était passagère, et non conductrice, de ce véhicule (CJUE, 30 juin 2005, C-537/03 ; CJUE, 1er déc. 2011, C-442/10).
La directive européenne concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs (Directive 2009 /103/CE, 16 sept. 2009) prévoit en son article 13 que toute disposition légale ou clause contractuelle contenue dans une police d'assurance qui exclut de sa garantie la conduite de véhicules par des personnes non titulaires d'un permis les y autorisant doit être réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers lésés à la suite d'un accident.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel et fait évoluer sa jurisprudence pour la rendre conforme au droit européen, en rappelant :
Il résulte du Code des assurances que les clauses du contrat d'assurance automobile prévoyant une exclusion de garantie lorsque, au moment du sinistre, le conducteur n'a pas l'âge requis ou ne possède pas les certificats exigés en état de validité pour la conduite du véhicule, ne sont pas opposables aux victimes ;
Selon l'article 385-1 du Code de procédure pénale, dont les dispositions sont d'ordre public, l'exception fondée sur une cause de nullité ou sur une clause du contrat d'assurance tendant à mettre l'assureur hors de cause n'est recevable que si elle est de nature à exonérer totalement celui-ci de son obligation de garantie à l'égard des tiers.
La Cour considère alors que les dispositions du Code des assurances doivent être interprétés en ce qu'ils rendent inopposables à l'assuré passager victime les clauses exclusives de garantie lorsque le conducteur, au moment du sinistre, n'avait pas l'âge requis ou ne possédait pas les certificats exigés pour conduire le véhicule.
Ainsi, le fait pour l'assuré, d'avoir laissé en connaissance de cause conduire son automobile par une personne non titulaire du permis de conduire ne peut le priver de la qualité de tiers lésé au sens de la directive précitée.
Cette décision modifie la manière dont les clauses d’exclusion doivent être interprétées par les juridictions, en ce qu’elles ne peuvent plus être opposées à un assuré.
Cela renforce la protection juridique des passagers victimes, en leur garantissant une indemnisation adéquate, même s’ils avaient conscience que le conducteur n’avait pas de permis.
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