Preuve de la faute du salarié : le retour du "client mystère" (Cass.soc. 6 septembre 2023)

A-t-on le droit de contrôler l’activité des salariés via des faux clients, inconnus d’eux, missionnés sur leur lieu de travail pour vérifier s’ils accomplissent loyalement et correctement leurs fonctions. Et si ce n’est pas le cas, peut-on prouver les fautes constatées par les rapports d’enquête de ces « clients mystères », rémunérés par l’entreprise ?
Oui répond la Cour de cassation (Cass.soc. 6 septembre 2023, n°22-13.783, Y. / Sté Autogrill Aéroport) , ces pratiques sont licites, elles ne constituent pas un stratagème déloyal et la preuve est recevable dans le cadre d’un contentieux … mais sous certaines conditions :
- Le CSE (s’il existe) doit avoir été préalablement informé et consulté sur le projet de mettre en place cette méthode de contrôle du travail des salariés.
Dans cette affaire, l’employeur avait produit un compte-rendu de réunion faisant état de la visite de « clients mystères » avec mention du nombre de leurs passages.
En effet, l’article L.2312-38 alinéa 3 du Code du travail dispose que « Le comité est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés. »
Il faut donc non seulement informer, mais aussi recueillir l’avis du CSE (par un vote retranscrit sur PV) sur une telle technique, avant de l’utiliser.
- Le salarié doit avoir été préalablement informé de l’existence et de la mise en œuvre à son égard de cette méthode de contrôle de son travail.
Dans cette affaire, l’employeur avait produit une note d’information des salariés sur le dispositif du « client mystère » qui portait la mention « pour affichage septembre 2015 » et qui expliquait son fonctionnement et son objectif.
En effet, l’article L.1222-3 du Code du travail dispose que « Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en oeuvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels. »
Une clause dans le contrat de travail ou une note de service datée et signée du salarié auraient aussi pu être utiles.
- Le dispositif de contrôle mis en place doit être justifié et proportionné.
Dans cette affaire, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur ce point alors que le pourvoi du salarié l’y invitait, reprochant à la Cour d’appel de s’être contentée de relever que les salariés avaient été informés de l’objectif du dispositif, mais ne l’avait pas elle-même vérifié précisément.
En l’occurrence, l’employeur avait mandaté une société extérieure pour effectuer des contrôles en tant que « client mystère » et produisait une fiche de contrôle d’un salarié vendeur dont il résultait qu'il n’avait remis à ce « client mystère » aucun ticket de caisse après avoir encaissé la somme demandée, ce qui avait fondé son licenciement.
En effet, l’article L.1222-3 précité prévoit également, en son dernier alinéa que : « Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie. » et l’article L.1121-1 du Code du travail édicte un principe général selon lequel : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ».
En cas de recours à un dispositif de « clients mystères », l’employeur sera donc attentif à respecter et soulignera le caractère ponctuel de la démarche (d’où la référence au nombre de passages), n’impliquant pas une surveillance permanente, à sa limitation aux horaires de travail et au lieu de travail et à l’absence de traitement automatisé de données personnelles (ou au respect par celui-ci le cas échéant de la réglementation en vigueur au titre notamment du RGPD).
La Cour de cassation a donc validé dans cette affaire la licéité de ce mode de preuve, et donc sa recevabilité en Justice pour fonder une sanction disciplinaire. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé du licenciement lui-même dans l’affaire, qui relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (qui avaient en l’espèce validé le licenciement après avoir constaté que le salarié avait déjà été sanctionné plusieurs fois auparavant pour le même motif et qu’il existait bien des procédures d’encaissement dans l’entreprise qu’il n’avait pas respecté).
Cette décision importante même s’il ne s’agit pas d’un revirement : la Cour de cassation avait en effet souvent jugées illicites des pratiques similaires en raison de leur caractère clandestin (interventions d’huissiers, agents mandatés, témoins dépêchés sur place pour piéger une vendeuse à l’encaissement, etc.).
D’ailleurs, la Cour de cassation s’était tout récemment prononcée sur la qualification des temps de déplacement d’un salarié faisant justement fonction de « enquêteur mystère » dans des concessions automobiles et mettant en scène des réparations à effectuer et enchaînant les visites dans la semaine où il dormait dans des hôtels (Cass.soc. 7 juin 2023, n°21-22.445, Sté Dekra Automotive Solutions France c / R.).
Ces pratiques d’enquêtes sont courantes.
Mais le « mystère » n’exclut pas un minimum de transparence en amont.
Et comme chacun sait, tout est toujours affaire de preuve.
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