En quoi la loi d'avenir a-t-elle modifié le statut du fermage ?

Publié le 02 janvier 2015

La loi d’Avenir impacte sensiblement le régime des baux ruraux.
Il s’agit ici non pas d'en faire un commentaire exhaustif mais d'en énoncer les modifications essentielles
En effet la loi est d'application immédiate dès sa promulgation le 14 octobre 2014 : elle impose parfois au preneur d'agir pour préserver ses droits

1. Faculté de demander la résiliation du bail pour le preneur

L’article L 411-33 réservait au preneur la faculté de demander la résiliation du bail notamment en cas d’incapacité de travail permanente de lui ou de l’un des membres de sa famille indispensable au travail de la ferme.
Les conditions de cette faculté de résiliation sont allégées en ce sens qu’il suffit que le preneur ou l’un des siens soit atteint d’une incapacité au travail d’une durée supérieure à deux ans.

2. Résiliation du bail en cas de décès du preneur à l’initiative du bailleur

L’article L 411-34 disposait notamment que le bailleur avait ,en cas de décès du preneur, la faculté de demander la résiliation du bail lorsque ce dernier ne laissait pas de conjoint, de partenaire avec lequel il était lié par un pacte civil de solidarité, d’ascendant, de descendant participant à l’exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès.
Désormais ce délai ne courra qu’à compter du jour où le décès est porté à la connaissance du bailleur.

3. Situation des co-preneurs lorsque l'un d'entre eux cesse ou à cessé d'exploiter

L’article L 411-35 du Code Rural a été modifié en ce sens qu’il lui est ajouté une obligation d’information du bailleur lorsque l’un des co preneurs du bail cesse de participer à
l’exploitation du bien loué (pour quelque raison que ce soit).

Avertir le bailleur...

Il est imposé au co-preneur « qui continue à exploiter » dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’autre co preneur a cessé de participer à l’exploitation, de demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom.
Le propriétaire a alors une faculté d’opposition en saisissant dans un délai qui sera fixé par décret le Tribunal Paritaire qui statuera alors sur la demande.

Il appartiendra probablement au Tribunal de juger si les garanties du bailleur subsistent avec un co-preneur au lieu de deux (solvabilité…).
Le texte précise enfin qu’à peine de nullité, la lettre recommandée devra reproduire intégralement les dispositions du texte relatives à cette information et mentionner expressément les motifs allégués pour cette demande, ainsi que la date de cessation de l’activité du co preneur.

Il est à noter que cette disposition est applicable aux baux en cours :

si l’un des co preneurs a cessé de participer à l’exploitation avant la date de publication de la loi d’Avenir c’est à dire le 14 octobre 2014, le délai de trois mois mentionné commence à courir à compter de cette date de sorte que l’information du bailleur doit lui être adressée avant le 14 janvier 2015.
Paradoxalement le bailleur qui recevra la notification ne saura dans quel délai il doit saisir le tribunal paritaire des baux ruraux en cas de désaccord si le décret n'est pas
encore paru.

à peine de sanction...

Certes, il ne semble pas que le défaut d’information puisse être sanctionné par la résiliation du bail.

Pour autant, ce sera probablement considéré comme un des motifs interdisant au preneur de céder, celui-ci n’étant dès lors plus considéré comme ayant respecté les obligations à sa charge.
(Une jurisprudence s'est développé qui refusait au co-preneur l'autorisation de céder leur bail dans le cadre des dispositions de l'article L411–35 aux conjoints ou descendants au motif que le co-preneur avait cessé de participer à l'exploitation ,en considérant qu'il s'agissait d'une violation des obligations d'exploiter personnellement les biens contractée par chacun des co-preneurs.

Il semble que ces dispositions ait été prises pour mettre fin à cette jurisprudence)

Reste la question des époux co-preneurs
Il restera aux commentateurs à définir si ces dispositions sont applicables au conjoint copreneur compte tenu des termes de l'article L411–46 du code rural "En cas de départ de l'un des conjoints ou partenaires d'un pacte civil de solidarité copreneurs du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l'exploitation a droit au renouvellement du bail. "

4. Mise à disposition de société

L’on sait que l’article L 411-37 ouvrait une faculté au preneur de mettre à disposition d’une société pendant la durée du bail dont il était titulaire tout ou partie des biens dont il était locataire.
La Société bénéficiaire devait être à objet principalement agricole ,dotée de la personnalité morale, ou s’il s’agit d’une société en participation être régie par des statuts établis par un acte ayant acquis date certaine ,et son capital devait être majoritairement détenu par des personnes physiques.
Dans ce cas, le preneur avait pour seule obligation d’aviser le bailleur de la mise à disposition dans les deux mois qui suivaient celle-ci.
La loi d’Avenir ouvre désormais la faculté de mettre à disposition d’une société qui, si elle est a objet principalement agricole, ne respecterait pas les autres conditions édictées par l’article L 411-37, c'est-à-dire notamment celle dont le capital n’est pas majoritairement détenu par
des personnes physiques.

Pour autant dans cette hypothèse, le preneur devra aviser le bailleur de son intention de mettre à disposition deux mois avant la date d’effet de la mise à disposition en mentionnant le nom de la personne morale, en fournissant les statuts, en précisant les références des parcelles mises à disposition.

Le bailleur disposera alors de deux mois pour faire connaître ,le cas échéant, son opposition,
et ce n’est qu’à défaut de celle-ci que l’accord sera réputé acquis.
Il n’est pas précisé par le texte si l’accord du bailleur est discrétionnaire ou si son désaccord
peut être censuré par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux.

5. Prorogation du bail jusqu’à l’âge de la retraite du preneur

Traditionnellement, l’article L 411-58 du Code Rural ouvrait au preneur la faculté en cas de congé de demander la prorogation de son bail lorsqu’il se trouvait à moins de cinq ans de l’âge de la retraite retenue en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles.
Le texte a été modifié par la loi d’Avenir et désormais le preneur ou en cas de co-preneur, l’un d’entre eux, peut demander la prorogation dès lors qu’il se trouve soit à moins de cinq ans de l’âge retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles, soit à moins de cinq ans de l’âge lui permettant de bénéficier de la retraite à taux plein.

Il est par ailleurs ajouté une disposition selon laquelle un même bail ne peut être prorogé qu’une seule fois (alors qu’auparavant la faculté pouvait être ouverte ,en cas de co-preneur, à chacun, de bénéficier de cette prorogation).
Dans le même esprit, l’article L 411-64 qui permettait au bailleur de refuser le renouvellement du bail ayant atteint l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles ou d’en limiter le renouvellement à l'expiration de la période triennale en cours au cours de laquelle le preneur atteindra cet âge,est modifié en ce sens que le preneur pourra désormais demander au bailleur le report de plein droit de la date d’effet du congé à la fin de l’année culturale où il aura atteint l‘âge lui permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein.

6. Indemnités de sortie de ferme

La faculté pour le preneur édictée par l’article L 411-69 du Code Rural de demander une indemnité au bailleur ,quelle que soit la cause qui a mis fin au bail ,lorsqu’il a par son travail ou par ses investissements apporté des améliorations au fonds loué, n’était jusqu’à présent enserré dans aucun délai.
La loi d’Avenir dispose désormais que « la demande du preneur sortant relative à une indemnisation des améliorations apportées au fonds loué se prescrit par 12 mois à compter de la date de fin de bail à peine de forclusion ».

De la même manière, l’article L 411-71 qui définissait les modalités de calcul de cette indemnité est modifié pour permettre de fixer le montant de l’indemnité par comparaison entre l’état du fonds lors de l’entrée du preneur dans les lieux et cet état lors de sa sortie ou au moyen d’une expertise.
En ce cas, l’expert peut utiliser désormais toute méthode lui permettant d’évaluer avec précision le montant de l’indemnité due au preneur sortant.
(cette disposition apparaît comme une réponse à la jurisprudence qui refusait parfois l'indemnisation au motif qu'un état des lieux d'entrée n'avait pas été établi et que dès lors il n'était pas possible de comparer l'état du fond à l'entrée et à la sortie.
C'est également une réponse à celle qui écartait les rapports d'expertise établis avec la méthode des bilans)

7. Pas de porte prohibé
L’on sait que les dispositions de l’article L 411-74 qui imposaient le remboursement des sommes indument perçues par tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire à l’occasion d’un changement d’exploitant avait vu une partie de ce texte déclarer contraire à la constitution en ce qui concerne le taux d’intérêt qui était appliqué à ce remboursement puisque celui-ci était indécis sur le taux d’un établissement privé les caisses de crédit agricole.
Désormais, ces sommes sont majorées d’un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux de l’intérêt légal mentionné à l’article L 313-2 du Code Monétaire et Financier majoré de trois points.

8. Renouvellement des baux cessibles
La loi modifie le régime des baux cessibles hors du cadre familial : alors que ces baux se renouvelaient à leur terme "pour une période de cinq ans au moins ",l'article L. 418-3 du code rural et de la pêche maritime prévoit désormais qu'ils se renouvellent par période de neuf ans.

Michel AUGUET
AVOCAT ASSOCIES
Spėcialiste en Droit Rural

Michel AUGUET, avocat à chalons pour commerce et agri viti
Michel AUGUET
Avocat associé

Dans la même thématique

Mon bail rural arrive à expiration : quelles sont les conditions à remplir pour bénéficier du renouvellement du bail ?

Publié le 05 juillet 2023 - Thème(s) : Thème : Propriétaire de terres / vignes et forêt, Thème : Bail rural, Thème : Exploitants Agricoles et Viticoles
Tout preneur a droit, en principe, au renouvellement de son bail, nonobstant toutes clauses, stipulations ou arrangements contraires (article L. 411-46 du Code rural). Le renouvellement intervient automatiquement, par le seul effet de la loi pour une durée de 9 ans.

Fermages impayés : une donation rapportable à la succession ?

Un enfant exploite et loue les terres agricoles de ses parents. Il ne paie pas les fermages. Ses parents ne les lui réclament pas. Au décès des parents, ses frères et sœurs s’estiment lésés, considérant que leur cohéritier a bénéficié d’un avantage indirect de leurs parents. Peut-on considérer que les fermages impayés constituent une donation rapportable à la succession ?

Le départ en retraite : quelles conséquences sur le bail rural ?

Publié le 09 septembre 2022 - Thème(s) : Thème : Propriétaire de terres / vignes et forêt

Le départ en retraite d’un exploitant agricole, preneur à bail, amène à s’interroger sur le sort du bail rural et sa transmission.
Une jurisprudence récente nous renvoie au cas particulier du bail conclu avec plusieurs preneurs.

Le schéma classique est le suivant : M. et Mme X, époux ou conjoints, sont tous les deux preneurs d’un bail rural. L’un des deux prend sa retraite et l’autre poursuit l’exploitation seul.

Le bail - signé à l’origine à deux - ne doit pas être oublié !

Congé fondé sur l'âge du preneur : attention au régime du bail renouvelé !

Publié le 25 mars 2019 - Thème(s) : Thème : Propriétaire de terres / vignes et forêt, Thème : Bail rural, Thème : Exploitants Agricoles et Viticoles, Thème : Bail rural

Le renouvellement d’un bail rural revêt toujours un enjeu important. D’autant plus quand le preneur se retrouve à l’âge de la retraite ou à un âge proche.

Provoquer le renouvellement du bail commercial présente-t-il un intérêt pour le bailleur ?

Publié le 13 février 2017 - Thème(s) : Thème : Propriétaire de terres / vignes et forêt, Thème : Bail rural, Thème : Exploitants Agricoles et Viticoles, Thème : Bail rural

Lorsque le bail commercial arrive à son échéance initiale, le bailleur se trouve à la croisée des chemins :
1. Soit il provoque le renouvellement du bail en délivrant un congé avec offre de renouvellement,
2. soit il laisse le bail se poursuivre par tacite reconduction.

Chacune de ses attitudes peut présenter un avantage :

La reprise des terres : oui… mais sans se « planter » !

La reprise des terres pour son exploitation, son descendant ou encore pour exploiter en société ou par mise à disposition, n’est pas toujours chose simple pour le bailleur.

Nombreux sont les carcans du Code rural qui imposent un formalisme stricte et rigoureux.

La rédaction d’un congé pour reprise n’est pas un acte anodin et s’inscrit dans un cadre plus général, dont la mise en œuvre aura des conséquences économiques, juridiques et structurelles.

ACG Avocats + Associés aux cotés de la Fédération des Syndicats d’exploitants agricoles

Publié le 31 mars 2015 - Thème(s) : Thème : Propriétaire de terres / vignes et forêt, Thème : Exploitants Agricoles et Viticoles

PAC, le ministère plie sous la pression de la FNSEA. Il accepte le report de la période de déclaration et donne finalement la possibilité de transferts des DPB entre fermiers entrants et fermiers sortants.

Article du journal "La Marne Agricole" du 13/03/15 - cliquez sur l'article ci-dessous pour l'agrandir.

Vignerons vous aviez jusqu’au 1 juillet 2012 pour vérifier vos marques viticoles et étiquetage

Publié le 15 mai 2012 - Thème(s) : Thème : Propriétaire de terres / vignes et forêt, Thème : Exploitants Agricoles et Viticoles

Ce décret, tant attendu depuis 2008, précise, notamment, les règles relatives à l’étiquetage, en application du Règlement (CE) n°479/2008 du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole et du Règlement n°607/2009 du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d’application du règlement (CE) n°479/2008 en ce qui concerne les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l’étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole.