Panorama d’actualité 2024 en droit du travail : la preuve par des éléments personnels (9)
L’illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit plus nécessairement à l'écarter des débats judiciaires
La preuve trouvée dans une clé USB personnelle
Une assistante commerciale est licenciée pour faute grave pour avoir copié, sur plusieurs clés USB trouvées dans son bureau par l'employeur, de nombreux fichiers de l'entreprise, dont certains relatifs à des données de fabrication, auxquels elle n'avait pas accès dans le cadre de ses fonctions.
La salariée conteste principalement la licéité du contrôle de l'employeur sur le contenu de ces clés USB personnelles.
L’employeur soutient qu'elles se trouvaient dans le bureau de la salariée, mais qu’elles n’étaient pas connectées à l'ordinateur professionnel, même si elles avaient pu l'être par le passé, de sorte qu’il avait le droit d’y accéder et d’en produire le contenu en Justice pour prouver la faute de la salariée.
La Cour d’appel juge la preuve licite et la salariée forme un pourvoi.
La Cour de cassation rappelle que le fait de copier des documents professionnels confidentiels sans autorisation constitue une faute grave.
Puis elle rappelle que l’accès par l’employeur au contenu d’une clé USB personnelle, non connectée à l’ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée et donc un mode de preuve illicite.
Cependant, dans cette affaire, elle juge ce moyen de preuve recevable car il est indispensable et proportionné, aux motifs que :
l'employeur faisait valoir qu'il avait agi de manière proportionnée afin d'exercer son droit à la preuve dans le seul but de préserver la confidentialité de ses affaires, de sorte que la mise en balance avec le droit à la preuve était bien demandée par une partie, et pouvait être examiné
l'employeur démontrait qu'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le contrôle effectué sur les clés USB au regard du comportement de la salariée, qui, selon le témoignage de deux de ses collègues, avait travaillé sur le poste informatique d'une collègue absente et imprimé de nombreux documents, qu'elle avait ensuite rangés dans un sac plastique placé soit au pied de son bureau, soit dans une armoire métallique fermée
pour établir le grief imputé à la salariée, l'employeur s'était borné à produire les données strictement professionnelles reproduites dans une clé unique après un tri opéré par l'expert qu'il avait mandaté à cet effet, en présence d'un huissier de justice, les fichiers à caractère personnel n'ayant pas été ouverts par l'expert et ayant été supprimés de la copie transmise à l'employeur, selon le procès-verbal de constat d'huissier.
Cass.soc. 25 sept. 2024, n°23-13.992, Sté Verre Équipements
Il s’agit d’une nouvelle application du revirement opéré par l’Assemblée Plénière le 22 décembre 2023 dans l’affaire Abaque (Cass. Ass. Plén. 22 déc. 2023, n°20-20.648).
Cet arrêt est un vrai mode d’emploi. Le raisonnement des juges du fond doit suivre l’ordre suivant :
s'interroger d'abord sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci ;
rechercher ensuite si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ;
apprécier enfin le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.
La lettre de licenciement était ainsi motivée : il lui était reproché de s'être connectée sur l'ordinateur de la dirigeante de l'entreprise et celui de sa collègue sans autorisation et d’avoir récupéré des données particulièrement sensibles auxquelles elle n'était pas censée avoir accès, faisant prendre un risque majeur pour l'entreprise de voir ces données « se retrouver dans la nature » sur des clés USB non sécurisées, anéantissant ainsi tous les efforts consentis par l’entreprise pour protéger ses données.
L’arrêt ne dit pas ce qui a permis de considérer que la fameuse clé USB était bien personnelle. Il semble que ce caractère personnel ait été présumé du fait que la clé n’était pas connectée à l’ordinateur professionnel car sinon celle-ci aurait été présumée utilisée à des fins professionnelles, comme la Cour de cassation l’avait jugé en 2013 (Cass.soc. 12 février 2013, n°11-28.649), sachant qu’elle avait aussi jugé un an avant que tout document détenu par un salarié dans son bureau dans l’entreprise est présumé professionnel et peut donc être consulté librement par l’employeur, hors la présence du salarié (Cass.soc. 4 juillet 2012, n°11-12.330).
C’est à nouveau ce que vient de rappeler la Cour de cassation en nuançant le propos dans un arrêt du 9 octobre dernier :
Un chimiste de recherche et développement et contrôle de qualité est licencié pour faute lourde après que son employeur a découvert, en son absence et dans son bureau au sein des locaux de l’entreprise, des courriels échangés entre lui et une société tierce depuis sa messagerie électronique personnelle.
Le salarié conteste son licenciement en invoquant la violation de l’intimité de sa vie privée et du secret des correspondances et en soutenant qu’il incombait à l'employeur de prouver qu'il s'était licitement procuré ces correspondances privées
La Cour d’appel de Lyon l’a débouté estimant qu’au contraire c’était à lui de prouver le caractère illicite de l’obtention de ces documents au sein des locaux professionnels et dans le bureau dont il était absent, alors qu’il ne démontrait pas que c'était par une fouille dans ses effets personnels que son employeur les avait découverts
Cet arrêt est cassé. La Cour de cassation :
Confirme que les documents détenus par le salarié dans le bureau de l'entreprise mis à sa disposition, sont, sauf lorsqu'il les identifie comme étant personnels, présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence,
Mais elle considère néanmoins que dès lors que les documents litigieux découverts par l’employeur sur le bureau du salarié provenaient de sa messagerie personnelle, ils étaient dès lors identifiés comme personnels, l’employeur ne pouvait y accéder et les appréhender hors la présence du salarié, de sorte que la preuve était illicite, comme l’avait jugé la Cour d’appel.
Cass.soc. 9 oct. 2024, n°23-14.465
Vanessa LEHMANN Natacha MIGNOT
Avocat - Associée - Droit du Travail Avocat – Droit du Travail
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