Panorama d’actualité 2024 en droit du travail : la recherche de reclassement préalable au licenciement economique (5)
L’existence de mesures visant à faciliter les reclassements dans le PSE ne dispense pas l’employeur de la charge de prouver qu’il a loyalement procédé à une recherche de reclassement individuel pour chaque salarié.
- La société Schiever distribution a proposé à 13 de ses salariés affectés à un entrepôt la modification de leurs contrats de travail suite à la fermeture de ce site, avec transfert sur d’autres sites
Les salariés ont refusé leur mutation et la proposition de modification de contrat qui en résultait et ont été licenciés dans le cadre du PSE mis en place par la société
Les salariés ont contesté leur licenciement et la Cour d’appel leur a donné raison
La société a formé un pourvoi en cassation en estimant que si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe bien à l'employeur, le juge doit prendre sa décision en tenant compte de l’ensemble des éléments fournis par les parties, donc aussi ceux du salarié
La société estimait également que la Cour d’appel ne pouvait lui reprocher de ne pas prouver lui-même que le périmètre de reclassement devait être limité aux postes proposés par lui
Elle s’était bornée à communiquer aux salariés une proposition, certes individualisée, mais sur une liste de postes disponibles recensés dans le PSE et n’avait donc pas effectué de recherches individuelles
La cour d'appel a ainsi relevé que l'employeur :
n'avait communiqué aucun élément permettant de vérifier que le périmètre de reclassement au sein du groupe qu'il avait retenu était exact au regard des critères de permutabilité.
ne justifiait pas des courriers de recherche de reclassement adressés aux entités du groupe
ne produisait aucun organigramme du groupe
ne produisant pas même son registre d'entrées et de sorties du personnel
L’homologation ou la validation du PSE prévoyant un plan collectif de reclassement ne dispense pas, ensuite, de rechercher individuellement un reclassement au salarié avant tout licenciement
La charge de la preuve d’une recherche loyale de reclassement pèse exclusivement sur l’employeur
Il s’agit certes d’une confirmation de jurisprudence, mais c’est la première fois que la Cour de cassation réitère sa position après la loi de sécurisation de l’emploi de 2013.
Le Conseil d’Etat avait récemment également confirmé cette approche dans un arrêt du 20 juin 2022 (CE 20- juin 2022 n° 437767) en jugeant qu’il n’appartient pas à la DREETS de contôler le respect par l’employeur de son obligation de recherche individuelle de reclassement.
L’article L.1233-4 du Code du travail prévoit :
« Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. »
Cet arrêt fournit un véritable mode d’emploi de ce que l’employeur doit faire : donner l’organigramme du groupe, définir les activités, expliciter les raisons pour lesquelles il limite ses recherches à telle ou telle entreprise du groupe en se fondant sur la possibilité ou non de permuter du personnel, écrire à ces entreprises en présentant les salariés de manière précise et en exiger une réponse après recherches effectives, fournir les registres d’entrées et de sorties du personnel des entreprises concernées.
En cas de grand licenciement collectif pour motif économique, il faut bien distinguer la phase « amont » de la recherche de reclassement, qui est collective et anonyme et qui se matérialise dans le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de la phase « aval » et individuelle de la recherche de reclassement. Ces deux phases de l’obligation de reclassement des salariés dont le licenciement est envisagé sont complémentaires et s’additionnent.
Or souvent, la phase d’élaboration et de négociation et de consultation sur le PSE est longue et les équipes RH s’y épuisent et, en aval, ne mènent pas la recherche de reclassement avec suffisamment de rigueur.
La Cour de cassation vient ici rappeler que l’entreprise ne peut se retrancher derrière le PSE.
Même quand le PSE a été homologué par l’administration, le travail n’est pas fini. Il faut encore rechercher s'il existe des possibilités de reclassement prévues ou non dans ce plan et de faire des offres précises, concrètes et personnalisées à chacun des salariés dont le licenciement est envisagé, de chacun des emplois disponibles, correspondant à leur qualification.
Les juges du fond peuvent condamner l’employeur même en se fondant sur les seuls éléments qu’il rapporte lui-même pour prouver qu’il a respecté le bon périmètre de recherche.
L’employeur doit apporter des éléments tangibles justifiant qu’il a effectivement recherché des postes à proposer : ses lettres adressées aux autres sociétés du groupe, leurs réponses, un organigramme du groupe, les registres des entrées et sorties du personnel, etc.
L’employeur doit remplir loyalement son obligation de reclassement préalable au licenciement économique, et ce, même quand un plan de sauvegarde de l’emploi a été homologué par l’administration.
Cass.soc. 15 mai 2024, n°22-20.650, Sté Schiever distribution c/ J.
Cet arrêt peut être rapproché d’un arrêt tout récent en matière de recherche de reclassement, cette fois préalable au licenciement pour inaptitude.
La Cour de cassation vient en effet de juger que c’est à l’employeur de fournir des éléments justificant de l’exactitude du périmiètre du groupe de reclassement retenu par lui et ce n’est que si une discussion s’ouvre sur la définition de ce périmètre que le juge doit prendre en compte les éléments fournis par le salarié pour apprécier ce périmètre du groupe de reclassement.
Là encore, aucun organigramme des différentes sociétés détenues par la holding du groupe n’était fourni par l’employeur et les informations relatives à la détention du capital n’étaient pas complètes et l’employeur ne s’était pas expliqué sur la permutabilité du personnel entre deux sociétés du groupe domiciliées sur le même site et exerçant sur des chantiers communs.
En clair, la charge de la preuve se répartit comme suit en matière de reclassement, que ce soit en matière de licenciement économique ou pour inaptitude :
c’est d’abord à l’employeur de communiquer des éléments permettant d’affirmer que le périmètre retenu pour procéder à sa recherche de reclassement est correct (que ce soit en termes capitalistiques, vis-à-vis de l’existence d’une entreprise dominante et en termes de permutabilité du personnel)
c’est ensuite au salarié qui conteste la validité de ce périmètre du groupe de reclassement retenu par l’employeur de fournir un commencement de preuve de ses allégations, notamment en nommant les sociétés qui auraient dû être interrogées selon lui, et en fournissant leurs fiche d’identité, preuve de leur existence même, voire en apportant des preuves de leurs liens entre elles
c’est alors à l’employeur de justifier de l’exclusion de ces autres sociétés de son périmètre de recherches (par rapport à leur existence, leur localisation ou non sur le territoire national, à leurs liens capitalistiques ou la non permutabilité du personnel, etc.)
C’est donc sur l’employeur que pèse plus fortement la charge de la preuve de cette obligation de reclassement, qui conditionne la validité du licenciement quant à sa cause réelle et sérieuse. Car rappelons-le : peu importe l’existence d’un motif économique réel et sérieux ou d’un avis d’inaptitude en règle (mais sans dispense de reclassement) émis par le Médecin du travail, si l’obligation de reclassement n’est pas respectée, il ne s’agit pas que d’une simple obligation de forme ou de procédure, mais d’une formalité substantielle de fond, qui fait partie intégrante du motif de licenciement. Sans recherche de reclassement complète et loyale, le licenciement n'est pas fondé.
Cass.soc. 6 novembre 2024, n°23-15368, Sté Ateliers Aubert-Labansat
Vanessa LEHMANN Natacha MIGNOT
Avocat - Associée - Droit du Travail Avocat – Droit du Travail
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