Le défaut de paiement des fermages constitue-t-il une donation indirecte ?
Rappelons la situation classique :
Un enfant exploite et loue les terres agricoles de ses parents.
Il ne paie pas les fermages.
Ses parents ne les lui réclament pas.
Au décès des parents, ses frères et sœurs s’estiment lésés, considérant que leur cohéritier a bénéficié d’un avantage indirect de leurs parents
Dans un article précédent et à la suite d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 septembre 2022, nous avions évoqué le sort du fermage impayé dans le cadre d’une succession (« Le défaut de paiement des fermages constitue-t-il une donation indirecte ? »)
Pour rappel, l’article 843 du Code civil dispose qu’un héritier « doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ». C’est le mécanisme du rapport successoral qui permet de rétablir l’égalité entre les héritiers.
Autrement dit, celui qui a « déjà » reçu par le biais d’une donation, prendra moins que les autres dans le cadre du partage.
Seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession.
Pour qu’un héritier soit tenu au rapport, encore faut-il que l’acte soit qualifié de donation.
La Cour de cassation rappelle depuis plusieurs années que la qualification de donation nécessite de justifier d’un acte d’appauvrissement de celui qui donne, dans l’intention de gratifier son héritier.
La preuve de cette intention de gratifier, qu’on appelle « l’intention libérale », est un élément déterminant et souvent le plus difficile à apporter.
L’arrêt du 21 septembre 2022 de la Cour de cassation permettait de confirmer que lorsque des parents renoncent à réclamer le paiement de fermages à leur enfant dans une intention libérale, il s’agit d’une donation qui est rapportable à la succession.
Dans une décision récente (Cass. 1re civ., 11 sept. 2024, n° 22-19.129, n° 446 D) la Cour de cassation a réaffirmé une position ferme sur la preuve et la qualification de « l’intention libérale » du défunt.
Dans cette affaire, un bail avait été conclu, le descendant bénéficiait d'un bail de terres et d'un bail à cheptel, et avait cessé depuis de nombreuses années de payer ses loyers.
Au décès du bailleur, les cohéritiers demandent le rapport à la succession des sommes impayées et la cour d'appel leur donne satisfaction. L'arrêt est cependant censuré par la Cour de cassation au motif que les juges du fond n'ont pas constaté l'existence de l'intention libérale des « prétendus disposants ».
Une telle intention aurait pu se traduire par une renonciation du bailleur à percevoir les loyers mais ne saurait découler de la simple constatation de l'inexécution des obligations du locataire.
On peut toutefois s'interroger sur l'intérêt de la qualification.
L'enjeu découle en réalité de la prescription.
Le recouvrement des dettes de loyers se prescrit par 5 ans alors que si l'on admet qu'il y a eu libéralité, le rapport de celle-ci ne se prescrit pas.
Autrement dit, si le locataire a cessé de payer ses loyers depuis 15 ans :
Si l’intention n’est pas établie : les cohéritiers pourront poursuivre le locataire (cohéritier) pour le paiement des 5 dernières annuités
Si l'intention libérale est établie, il devra rapporter une somme égale à 15 ans de loyers
Cette décision rappelle la nécessité du soin à apporter en amont à l'établissement des baux conclus dans le cadre familial.
Elodie SEURAT Perrine FOURTINES ROCHET
Avocate associée, droit des successions Avocate Associée, droit rural
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Il convient de distinguer les cas où les parents sont vivants ou décédés.
Si les parents sont vivants,
leurs enfants ne sont nullement inquiétés par l’endettement de leurs parents.
Un seul bémol est le cas où l’enfant s’est porté caution des engagements de ses parents ; par exemple il est garant du paiement des loyers de ses parents en cas d’impayés ou d’un contrat de prêt. Cet engagement doit être écrit.