Panorama d’actualité 2024 en droit du travail : le motif économique de licenciement (4)

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Le licenciement économique notifié pendant l’arrêt maladie est-il présumé discriminatoire lorsque le motif économique n’est pas réel et sérieux ?

  • Un Directeur Administratif et Financier est placé en arrêt pour maladie professionnelle pendant un peu plus de 2 ans, puis déclaré apte à la reprise de son poste par le médecin du travail.

  • Mais il ne reprend pas son poste car il a été remplacé à celui-ci durant son arrêt, ce remplaçant ayant ensuite élargi ses fonctions de Directeur Administratif et Financier à des attributions rattachées à la logistique, à l’informatique, aux ressources humaines et au service clients.

  • La société lui impose de solder ses congés payés acquis, ce qu’il fait pendant une semaine puis fait l'objet d'un nouvel arrêt maladie pour rechute, avant d’être licencié pour motif économique 2 mois plus tard, avant qu’il ait pu reprendre son poste, en raison d’une réorganisation intervenue pendant son arrêt et fondée sur des difficultés économiques rencontrées au cours des 3 derniers exercices.

  • Le salarié conteste ces motifs économiques, mais surtout demande sa réintégration et la nullité du licenciement en invoquant une discrimination en raison de son état de santé.

  • La Cour d’appel retient :

    • Qu’il y a bien une présomption de discrimination liée à l’état de santé que laissent supposer les éléments suivants :

      • aucun outil de travail ou bureau n’était disponible au retour de l’arrêt de travail

      • il était le seul cadre à avoir été licencié au titre de la restructuration

    • Que l’employeur était déficitaire au cours de 2 exercices comptables sur les 3 dernières années et que le chiffre d'affaires était en baisse significative sur ces 3 années, mais que le motif économique n’était pas justifié dès lors que les données comptables sur lesquelles l'employeur s'appuyait étaient trop anciennes et ne permettaient pas d'établir l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement.

    • Mais déboute pour autant le salarié de sa demande de nullité jugeant que le licenciement est quand même intervenu en raison de la réorganisation intervenue pendant son arrêt maladie en raison de sa situation économique et non en raison de cette maladie, ces justifications économiques, même insuffisantes, constituant des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

    • En clair, la Cour d’appel avait certes jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et donc accordé une indemnité au salarié, mais n’avait pas annulé ce licenciement ni accordé la réintégration, ce qui ce serait traduit, outre des dommages-intérêts, par des rappels de salaires sur la totalité de la période d’éviction entre le licenciement et la décision de Justice, donc une sanction financière beaucoup plus lourde.

  • Cet arrêt est cassé par la Cour de cassation qui juge que la Cour d’appel a statué par des motifs impropres à établir que le licenciement est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Ainsi, il appartiendra à une nouvelle Cour d’appel d’apprécier s’il y a ou non une discrimination dans cette affaire. Mais elle devra donc fonder sa décision sur autre chose que la réorganisation puisque la Cour de cassation, particulièrement sévère, considère que dès lors que le motif économique n’est pas valable, son élément matériel, en l’occurrence la réorganisation qui est bien intervenue, ne suffit pas à écarter la présomption de discrimination.

Dans ces conditions, la défense de l’entreprise s’avère particulièrement ardue pour prouver un fait négatif puisque cet arrêt de la Cour de cassation aboutit à le priver de la possibilité d’invoquer ce qui semble être le véritable motif du licenciement, à savoir la réorganisation et la suppression du poste de DAF, dès lors que les difficultés économiques invoquées ne sont pas jugées valables.

C’est là l’effet du renversement de la charge de la preuve crée par le dispositif protecteur et de lutte contre les discriminations : ce n’est pas au salarié de prouver qu’il y a eu une discrimination, mais à l’employeur de prouver qu’il n’y en a pas eu par des éléments objectifs, comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article L.1134-1 du Code du travail :

« Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. »

Or ici, les éléments objectifs étaient la suppression du poste et la réorganisation opérée, mais ils ne peuvent justifier le licenciement qui a de facto pour effet une discrimination indirecte, laquelle est tout aussi prohibée par l’article L.1132-1 du Code du travail.

Cette décision peut paraître sévère, mais on oublie souvent que la discrimination en matière civile ne résulte pas nécessairement de l’intention de son auteur, mais des effets de ses actes.

C’est un peu comme pour la définition du harcèlement moral, défini à l’article L.1152-1 du Code du travail par référence aux agissements répétés « qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Là aussi, « c’est le résultat qui compte ».

On ne peut que recommander aux responsables des ressources humaines de redoubler de prudence dans la gestion du retour des salariés placés en arrêt maladie.

 

Cass.soc. 10 juillet 2024, n°22-16.805, société Volcom

 

 

Vanessa LEHMANN                                                                                                      Natacha MIGNOT

Avocat - Associée - Droit du Travail                                                                     Avocat – Droit du Travail

Vanessa LEHMANN
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Natacha MIGNOT
Avocat

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